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La signature de l’eau, version bleue 2.1

Point protocole : Pour continuer la nouvelle, envoyez-nous votre suite à l’adresse explornova.uni@gmail.com (c’est le plus simple) ou directement en commentaire sous les posts. Maintenant que la nouvelle prend de l’ampleur, précisez-nous quelle version vous continuez !

(proposition de Mélody Gervais, puis proposition d’O’Scaryne)

graphonaute sf science fiction espace astronomie terre nouvelles utopiales

Le vaisseau des Sourciers s’était posé deux jours plus tôt sur Nova Terra 56, dans une plaine de poussière turquoise, baignée par la lumière aux reflets grenat de l’étoile proche, et barrée au loin par une ligne de sommets dentelés, une chaîne de montagnes sans doute très jeune. Sur certains des pics, une calotte blanche étincelait dans la lueur rose. Des glaciers ?  Difficile de dire à cette distance. En tout cas il y avait de l’eau sur Terra 56. C’était la raison principale de la présence des Sourciers. Les capteurs du vaisseau avaient détecté la signature de l’eau depuis l’espace, dans le spectre lumineux de la planète. D’une manière générale, Terra 56 présentait des conditions quasi idéales pour fonder une nouvelle Terre. Elle était à la même distance de son étoile que la Première Terre de son Soleil. Elle était un peu plus grosse que la Première Terre, la gravité y était donc plus forte, et l’air était plus chargé en dioxyde de carbone, mais rien que des combinaisons adaptées ne puissent compenser. Et il y avait du mouvement à la surface de la planète. Etait-ce des éruptions volcaniques, des vents violents balayant un paysage désert, des pluies ou des orages peut-être ? Ou bien était-ce autre chose, davantage… ? Y avait-il de la vie sur Terra 56 ?

Hateya Somari, la capitaine de l’expédition, une femme âgée tannée par des années d’expéditions spatiales, avait appris à ne plus l’espérer. Depuis des siècles que l’humanité s’était lancée à la conquête du cosmos, on n’avait pas trouvé la moindre trace d’existence extraterrestre, pas même une bactérie. L’homme se résolvait peu à peu à être seul dans l’univers. Et pourtant… Pourtant Hateya avait eu un pressentiment étrange, en apercevant pour la première fois l’horizon de Terra 56  par la baie vitrée de la dunette, ses deux lunes et son jour aux couleurs de crépuscule. L’équipage avait appris à se fier aux intuitions de sa capitaine. Certains murmuraient qu’elle avait des dons chamaniques, hérités de lointains ancêtres sioux, des indiens de la Première Terre. Plus simplement, Hateya avait un bon instinct, aiguisé par des décennies d’observation et d’exploration spatiale. Et cette planète… Aucune exoplanète n’était semblable à une autre, bien sûr, mais Terra 56 avait quelque chose de plus encore. Quelque chose de radicalement différent.

Le lendemain de l’atterrissage, l’équipage avait lancé la première expédition sur le sol, à bord de véhicules tout-terrain, en emportant de l’eau et des rations pour une semaine. Ils étaient partis en équipe réduite, Hateya bien sûr, puis Corey, le mécanicien du bord, un quadra aux cheveux vert vif, aux allures d’éternel adolescent, mais qui était capable de réparer n’importe quelle machine avec quasiment rien  même au milieu d’une tempête de sable. A ceux-là s’ajoutaient deux ingénieurs, Léa et Oslan, deux jumeaux, une biologiste et un géologue, tous deux blonds et pâles, qui vivaient dans leur propre monde et se comprenaient presque sans parole. Et enfin Adrien Sorbier, un prospecteur au service des Compagnies Minières, le consortium privé qui finançait en partie l’expédition.

Au deuxième jour sur Terra 56, le petit groupe arriva au bord d’un ruisseau, à peine un filet d’eau qui serpentait dans la plaine turquoise. La chaîne de montagne s’était quelque peu rapprochée, et en pointant ses jumelles vers elle, Hateya aperçut comme des ombres sur certaines de ses pentes. De la végétation ?  Plus probablement un caprice de la roche… La capitaine balaya l’horizon du regard. Les volutes de poussière masquaient une partie de la plaine. Agenouillés près du ruisseau, microscope en main, Léa et Oslan analysaient la composition de l’eau. Soudain Léa poussa une exclamation.

…. 

Hateya s’approcha de la rive. La biologiste, un sourire ravi au visage, tenait plusieurs boules de… terre – ou était-ce de la pierre ? – dans le creux de sa main. Son jumeau se pencha sur la trouvaille, un sourire moqueur aux lèvres.

— Sérieusement ? demanda Oslan.

— C’est une déjection, j’en suis sûre ! s’enthousiasma la jeune-femme. La preuve qu’il y a de la vie !

— Nope, désolé de te décevoir mais c’est de la boue, rien d’autre.

— Une déjection, s’entêta Léa en tirant un sac transparent d’une des nombreuses poches de sa combinaison.

— Attends !

Le cri du géologue stoppa tout mouvement : Oslan, les yeux gros comme des soucoupes, repoussa du bout d’une longue pince plusieurs des boules de terre dans la main sa sœur. Il farfouilla un moment avant de se saisir de l’une d’elle avec un cri de victoire digne d’un gamin de dix ans.

—  Ahah ! Tu peux garder tes déjections, moi j’ai trouvé du stibiopalladinite !

— J’ai trouvé, tu veux dire, maugréa sa jumelle en glissant finalement ses trouvailles à elle dans un sac.

— Du quoi ? répéta Sorbier en bousculant Hateya.

Leurs combinaisons, toutes moulantes qu’elles étaient, ne rendaient pas leurs mouvements faciles, en grande partie parce qu’il fallait faire attention à ne pas arracher le tuyau qui reliait l’ensemble masque-visière au filtre à air fixé à leur ceinture. La capitaine fronça les sourcils : Adrien Sorbier n’avait rien d’un athlète, engoncé qu’il était dans sa combinaison aux couleurs du Consortium – vert et violet, un mélange au moins d’aussi mauvais goût que la compagnie en question d’après Hateya. Masque et visière avaient au moins le mérite de masquer le visage buriné du prospecteur. On ne choisissait malheureusement pas ses investisseurs, soupira la capitaine en s’approchant à son tour. Sorbier avait bougé avec une vivacité étonnante à la simple mention du métal – l’appât du gain, soupçonna-t-elle en tentant de se rappeler l’intérêt de ce métal-ci. Le caillou n’avait rien de particulièrement original : foncé, presque noir, parsemé de tâches dorées et de légers reflets violacés.

— C’en est, asséna Oslan, et s’il y a du stibiopalladinite, il y a du…

— Palladium ! compléta Sorbier. Enfin une bonne nouvelle !

— C’est une mission humanitaire, Sorbier, lui rappela sobrement Hateya, la bonne nouvelle c’est qu’il y a de l’eau.

— Absolument, capitaine, absolument. Le Palladium sert à fabriquer les circuits de vos joyeuses machines à Sourciers, ceci-dit, pointa-t-il en désignant l’armada portative répartie autour des jumeaux, sans oublier de l’électronique grand public alors vous excuserez mon enthousiasme.

Hateya hocha la tête et lui rendit son sourire de connivence. En voilà un qui ne perdait pas de vue les intérêts du Consortium.

— Il est impératif de trouver la source du filon, reprit celui-ci.

— Pas l’objectif principal, pointa Hateya. Ceci-dit, le devança-t-elle en levant une main, il y a des chances pour que ruisseau et Palladium prennent leur source dans la même zone.

Le premier zigzaguait à travers la plaine, un filet presque imperceptible au milieu des terres turquoises : bleu sur bleu, autant dire que les machines des ingénieurs ne seraient pas de trop. Un coup d’œil au lointain et aux montagnes juchées là confirma la source probable du cours d’eau. Hateya plissa les yeux : les ombres aux abords des reliefs escarpés étaient un peu trop changeantes à son goût.

— D’autant que…

— Quoi, Léa ? demanda Oslan.

— Qu’elle est la particularité de Terra 56 ? lui rétorqua celle-ci.

— Je commence par quoi ?

— C’est une planète, andouille, le corrigea la jeune-femme en secouant la tête. Et elle a…

— Dites, quand vous aurez fini, intervint Sorbier. Mon temps, contrairement à d’autres, est de l’argent. Celui du même consortium qui finance votre expédition, rappela-t-il en croisant les bras.

— J’ai comme dans l’idée qu’on ne risque pas de l’oublier, souligna Corey avec un éclat de rire bon enfant.

Le mécanicien asséna une généreuse tape sur l’épaule de Sorbier avant de partir vers les véhicules, plus intéressé par la mécanique que par la géologie. Hateya refréna un sourire devant l’air choqué du prospecteur : avec un caractère pareil, elle n’était pas franchement étonnée qu’il soit davantage surprit par un signe de camaraderie que par une rebuffade.

— Donc, Léa ? la relança la capitaine.

— Le dioxyde de carbone est présent en quantité plus élevées que sur la Première Terre. Déterminer la teneur et la masse des montagnes pourrait nous permettre de comprendre pourquoi.

— Donc on grimpe, on établit un périmètre et quoi ? reprit Oslan.

— On fore, compléta Sorbier.

— Avec quoi ? demanda Léa.

— à votre avis ? Le C4 dans le coffre n’est pas seulement décoratif, pointa-t-il en désignant l’aéroglisseur qui faisait office de véhicule d’exploration.

Hateya grogna tout haut. Étrangement, commencer par détruire une partie de leur nouveau monde ne semblait pas de bon augure.

— Sauf qu’on ne sait rien de l’activité sismique de la planète, modéra la capitaine. Est-ce que ça ne risquerait pas de déclencher un tremblement de terre ou que sais-je ?

— Peut-être, réfléchit Oslan.

— Dites, pas que je veuille vous apprendre votre boulot, le coupa sèchement Sorbier, mais vous êtes au courant que ça pourrait être la solution à ce trop plein de CO2 ? Si plaques tectoniques il y a – et ça reste à prouver, pointa-t-il avec un regard appuyé – il y a des chances qu’un peu de mouvement résorbe le surplus de dioxyde de carbone.

Hateya fronça les sourcils, agacée par l’assurance du prospecteur au moins autant que par la possibilité qu’il ait raison. Reste qu’elle n’était pas franchement en position de refuser une potentielle solution : réguler l’atmosphère faisait aussi partie de ses nombreux objectifs – un passage obligé pour rendre la planète réellement habitable. La capitaine tourna un regard interrogateur vers ses deux ingénieurs : à en juger par leurs mines contemplatives, Sorbier avait mis le doigt sur quelque chose.

— Il n’a pas forcément tort, admit Léa. Sur la vieille Terre, c’est l’apparition des continents qui a permis de résorber une partie du CO2. L’altération continentale et l’érosion qui a suivi ont été déterminants dans la modification de l’équilibre atmosphérique.

— Tout ça pour confirmer que j’ai raison, soupira Sorbier. Bien, donc comme je disais…

—  Minute, l’interrompit Oslan. On vient à peine d’arriver et vous voulez déjà tout faire sauter… C’est un tantinet drastique, non ?

— Et ça rappelle les mauvaises heures de la Première Terre, pointa Hateya en rajustant son filtre à air d’une main fatiguée. Oslan, tu as une meilleure idée ?

— Faire sauter le continent non mais ces montagnes me semblent prometteuses. À étudier, rajouta-t-il devant le regard réprobateur de sa supérieure. Même s’il faudra probablement forer à un endroit ou à un autre si on veut en apprendre plus.

Oslan regardait au loin, à l’endroit où les premières montagnes se dessinaient – le début d’une chaîne conséquente, devina Hateya. À en juger par le  sourire songeur sur le visage de son géologue, elle le soupçonnait d’être en train d’imaginer les détails de l’opération.

— Étudier l’érosion et établir un périmètre minier : d’une pierre deux coups !  se félicita Sorbier, pas peu fier de son jeu de mot.

—  Il faudrait faire une première étude mais celles-ci là-bas me paraissent prometteuses, confirma Léa en désignant les plus hauts sommets, elles rappellent les grandes chaînes de la Première Terre. D’ailleurs, c’est pas pour rien qu’on surnommait l’Himalaya la pompe à CO2, récita-t-elle avec bonne humeur.

— Merci, Miss Je-sais-tout, la taquina son jumeau en levant les yeux au ciel. Ne faites pas attention, c’est une véritable fan quand on en vient à la vieille Terre.

— Première Terre, le corrigea Léa avec un sourire.

Hateya les interrompit d’un geste : ce genre de chamaillerie pouvait durer des heures – elle en avait fait la découverte à ses dépens. La capitaine inspira profondément, le regard tourné vers les pics rocheux. La première montagne n’étaient pas si loin : moins d’une dizaine de kilomètres à vue de nez. Eau, stibiopalladinite ou ces fichues ombres qui dansaient à la lisière du relief, ça ne coûtait rien d’aller vérifier.

Les hommes paraissaient minuscules sur l’immensité de la plaine turquoise ; cinq petits points de couleur insignifiants, mais déjà très actifs.

— Parfait ! déclara Yghouna.

— Tout semble fonctionner comme prévu, en effet, renchérit Ordisk. Et après ?

— Maîtrise ton impatience. Cela fait trois cent cinquante mille de leurs années que nous les attendons. Laissons-leur le temps de dompter ce nouvel environnement.

Zaïdel avait quitté son état de léthargie quasi-perpétuelle pour prendre part à l’échange ; ses paroles, d’ordinaire apaisantes, ne parvinrent pas à juguler le scepticisme ambiant.

— Il n’y a aucune impatience en moi. Seulement de la crainte. Beaucoup de crainte.

— Qu’est-ce qui t’effraie ? l’interrogea Yghouna.

— Vous ne voyez pas qu’à peine arrivés, ils cherchent déjà le moyen de vampiriser ce qui les entoure ? Qu’ils sont prêts à tout détruire ?

— J’ai confiance en la vieille femme, affirma Zaïdel. Tout ira bien.

— Comment peux-tu afficher une telle assurance ? insista Ordisk.

— Zaïdel voit juste, lui répondit à son tour Yghouna. Si le prospecteur devient trop menaçant, la capitaine le neutralisera. Ce n’est pas par hasard si elle est arrivée jusque-là, mais bien parce que sa maturité a été détectée.

— Et si nous nous étions tromp…

Ordisk ne put terminer sa phrase. L’infime décharge d’énergie subtile envoyée par Zaïdel avait provoqué sa mise hors circuit temporaire.

Yghouna reprit son observation en silence.

Les poussières s’étaient densifiées. Mêlées aux ombres, elles formaient un long voile sombre s’étirant au-dessus de la plaine et semblant se dérouler jusqu’aux confins du domaine.

Un voile opaque pour des yeux humains.

*

Adrien Sorbier tournait en rond. Il avait cru, quelques heures plus tôt, que tout le monde était prêt à partir vers les montagnes mais, au lieu de remballer, les scientifiques avaient sorti tout un attirail pour affiner leurs analyses. Il n’y avait pourtant pas à tergiverser : c’est là-haut qu’ils allaient trouver ce qu’ils cherchaient. Pas dans ce ridicule ruisselet !

— Bon alors, on est partis ? lança-t-il soudain, tout en ramassant les différents instruments déposés par les jumeaux au sol.

— Eh attendez, un peu ! aboya Oslan qui détestait que l’on touche à son matériel. On a encore des choses à vérifier avant de se précipiter.

— On a récupéré toutes les infos qu’il y avait à récupérer dans ce ru. Il est temps de remonter jusqu’à sa source. Allez hop !

— Dites, vous n’êtes pas notre capitaine à ce que je sache ! l’interpela Léa.

Puis elle poursuivit, lui arrachant des mains son sachet d’échantillons, qu’il avait ramassé sans aucun égard :

— Touchez pas à ça ! C’est sensible.

— Je ne suis pas capitaine, en effet, mais c’est mon consortium qui finance. Alors j’estime être en droit de diriger les opérations ! Et ces prélèvements nous appartiennent !

Il avait violemment reprit le sac et tentait de le fourrer dans l’une des nombreuses poches de sa combinaison. Oslan avait écarté sa jumelle qu’il sentait prête à sauter au cou de Sorbier.

Planté devant le représentant des Compagnies Minières, il le toisa du haut de son mètre quatre-vingt dix et tenta d’expliquer calmement :

— Les prélèvements doivent être rangés dans le caisson stérile ; donnez-les moi.

Ne se sentant pas en mesure de lutter physiquement, Sorbier ressortit le sac de sa poche arrière et le jeta aux pieds de Léa :

— Les voilà vos merdes d’extra-terrestre. Vous êtes contente ? Maintenant on y va !

— Pas tout de suite Monsieur Sorbier, intervint Hateya, enfin sortie de sa contemplation.

Des heures le regard plongé dans l’horizon, le vide, le calme plat. Il s’attendait à plus de réactivité de la part d’une responsable de mission. Comme les autres, elle l’exaspérait :

— Vous n’allez pas vous y mettre aussi ? Je croyais qu’on était tous d’accord pour bouger. C’est pas en scannant ce paysage des yeux que vous allez découvrir le gisement de palladium.

— Mais bon sang ! Observez ce qui vous entoure au lieu de rester centré sur vos satanés intérêts financiers. Levez la tête !

Le ton cassant de leur capitaine surprit chaque membre de l’expédition. Corey, affairé sur l’un des véhicules, revint vers le groupe. Dans un mouvement d’ensemble, ils regardèrent en direction des montagnes que Sorbier avait hâte de rejoindre.

De lourds nuages noirs les masquaient. Des masses indéfinissables, apparemment constituées de poussières denses agglutinées les unes aux autres. Tels des cumulonimbus portés par de forts vents, les gigantesques ombres opaques se dirigeaient vers eux.  Ils n’avaient encore rien vu de tel depuis leur arrivée sur Terra 56.

L’inquiétude était palpable.

Sorbier, soudain beaucoup moins à l’aise, mais refusant néanmoins de se laisser impressionner par quoi que ce fut qui puisse lui mettre des bâtons dans les roues, brisa le silence :

— C’est la nuit qui tombe, rien de plus. On m’a refilé une équipe de trouillards ou quoi ?

— Taisez-vous ! lui intima Hateya. Et écoutez.

— Quoi encore ? s’agaça-t-il. Qu’est-ce que vous…

La capitaine leva sa main gauche vers lui pour interrompre sa diatribe, et plaça son index droit devant ses lèvres avant de reprendre, dans un chuchotement :

— Personne n’entend ?

Tous se firent attentifs. Elle les observa en espérant que l’un d’entre eux, au moins, percevrait ce son étrange qui stimulait ses oreilles par vagues successives depuis plusieurs minutes.

Infime, mais bien réel. Entre le murmure et le souffle. Entre le sifflement d’un serpent et le craquettement d’une cigale, cet insecte disparu de la surface de la Première Terre depuis près d’un demi-siècle déjà et dont le chant, elle s’en souvenait encore, berçait, l’été, ses siestes enfantines dans le jardin de ses grands-parents en Provence.

— J’entends que dalle ! grogna Sorbier. Acouphènes ; vos vieilles oreilles ont dû mal se remettre du voyage…

— Moi, j’entends quelque chose, intervint Corey.

— Moi aussi, déclarèrent d’une seule voix les jumeaux.

— C’est ténu, reprit Corey, mais ça fait presque mal quand on y fait attention.

— Alors n’y faisons pas attention et partons ! tonna Sorbier, de plus en plus excédé, et inquiet d’être le seul à ne rien entendre.

— Tempête magnétique ? suggéra Léa sans s’occuper de la remarque du prospecteur.

La capitaine avait, bien sûr, songé à cette éventualité, mais n’en avait pas été convaincue. Son intuition lui proposait une interprétation différente. Au risque de passer pour une « allumée » aux yeux de ses coéquipiers, elle se lança  :

— Je sais que cela peut sembler totalement improbable mais j’ai le sentiment que nous sommes à l’origine de ce phénomène.

— Tu penses que cette terre réagit à notre intention de la forer, voire de la peupler ? suggéra Léa.

— Je n’étais pas allée jusque là, mais pourquoi pas ? C’est intéressant… répondit Hateya tout en continuant de réfléchir.

— C’était quoi ton idée alors ? lui demanda la biologiste.

— Eh, les filles vous partez un peu loin, non ? intervint Oslan.

— Laisse Hateya terminer, proposa Corey. Nous savons tous combien son intuition peut être précieuse.

— Et bien moi, j’ai l’intuition qu’on ne va pas aller loin avec vos idées barrées! Alors, que vous le vouliez ou non, je vais aller explorer ces montagnes. Et je vais y aller maintenant ! ajouta-t-il en sortant une arme de sa poche dont il posa le canon derrière la nuque de Corey.

Les combinaisons étaient certes très résistantes, mais incapables de protéger quiconque d’une balle à bout portant.

La capitaine réfléchissait à l’attitude la plus judicieuse à adopter face au forcené lorsque qu’une onde à haute fréquence lui déchira les tympans. La douleur la projeta au sol. Léa, Oslan, Corey puis Sorbier s’écroulèrent à leur tour alors que le voile noir, maintenant arrivé jusqu’à eux, se déchirait soudain pour laisser tomber des éléments grisâtres dans un tumulte assourdissant.

Hateya parvint à se relever et hurla aux autres de se replier dans le véhicule-labo. Tous la suivirent, se mouvant aussi rapidement que leurs lourdes tenues le leur permettaient.

Une fois à l’abri, ils observèrent le déluge de particules inconnues à travers les larges fenêtres. Puis le bruit se tut enfin et la pluie de poussière cessa.

Chacun gardait le silence ; même Sorbier ne trouvait rien à dire. La violence de l’ondée et la puissance du son étrange l’ayant précédé — une espèce de larsen suraigu — lui avaient ôté toute velléité de mutinerie.

La capitaine tendit vers lui une main, paume ouverte. Il y déposa son arme, sans aucune résistance.

Hateya la rangea en sécurité avant d’annoncer :

— Léa, tu vas analyser ce que tu soupçonne être des déjections. S’il y a des êtres vivants, autant essayer de savoir à quoi nous avons affaire avant d’aller plus loin. Oslan, tu t’occupes des poussières qui viennent de nous tomber dessus.

— Je veux bien objecta le géologue, mais…

— Oui, je sais, elles semblent s’être désagrégées au contact du sol et des véhicules. Prélève quand même des échantillons au cas où il y ait des traces.

— OK, comme tu voudras.

— Dès que vous aurez terminé, nous irons jusqu’aux montagnes ; nous chercherons la source du ruisseau. Nous sommes des Sourciers ; nous sommes ici pour ça, insista-t-elle à l’intention d’Adrien. Et surtout, nous allons nous comporter en explorateurs pacifiques et cesser d’entrer en conflit les uns avec les autres.

Elle marqua une pause, regarda un par un les membres de son équipe avant d’ouvrir la porte latérale du fourgon et de conclure :

— Cette planète est sensible à nos émotions.

A CONTINUER..

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