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La signature de l’eau, version rouge 2.3

Point protocole : Pour continuer la nouvelle, envoyez-nous votre suite à l’adresse explornova.uni@gmail.com (c’est le plus simple) ou directement en commentaire sous les posts. Maintenant que la nouvelle prend de l’ampleur, précisez-nous quelle version vous continuez !

(proposition de Yahiko, avec une suite de Paul Sauvage)

graphonaute sf science fiction espace astronomie terre nouvelles utopiales

Le vaisseau des Sourciers s’était posé deux jours plus tôt sur Nova Terra 56, dans une plaine de poussière turquoise, baignée par la lumière aux reflets grenat de l’étoile proche, et barrée au loin par une ligne de sommets dentelés, une chaîne de montagnes sans doute très jeune. Sur certains des pics, une calotte blanche étincelait dans la lueur rose. Des glaciers ?  Difficile de dire à cette distance. En tout cas il y avait de l’eau sur Terra 56. C’était la raison principale de la présence des Sourciers. Les capteurs du vaisseau avaient détecté la signature de l’eau depuis l’espace, dans le spectre lumineux de la planète. D’une manière générale, Terra 56 présentait des conditions quasi idéales pour fonder une nouvelle Terre. Elle était à la même distance de son étoile que la Première Terre de son Soleil. Elle était un peu plus grosse que la Première Terre, la gravité y était donc plus forte, et l’air était plus chargé en dioxyde de carbone, mais rien que des combinaisons adaptées ne puissent compenser. Et il y avait du mouvement à la surface de la planète. Etait-ce des éruptions volcaniques, des vents violents balayant un paysage désert, des pluies ou des orages peut-être ? Ou bien était-ce autre chose, davantage… ? Y avait-il de la vie sur Terra 56 ?

Hateya Somari, la capitaine de l’expédition, une femme âgée tannée par des années d’expéditions spatiales, avait appris à ne plus l’espérer. Depuis des siècles que l’humanité s’était lancée à la conquête du cosmos, on n’avait pas trouvé la moindre trace d’existence extraterrestre, pas même une bactérie. L’homme se résolvait peu à peu à être seul dans l’univers. Et pourtant… Pourtant Hateya avait eu un pressentiment étrange, en apercevant pour la première fois l’horizon de Terra 56  par la baie vitrée de la dunette, ses deux lunes et son jour aux couleurs de crépuscule. L’équipage avait appris à se fier aux intuitions de sa capitaine. Certains murmuraient qu’elle avait des dons chamaniques, hérités de lointains ancêtres sioux, des indiens de la Première Terre. Plus simplement, Hateya avait un bon instinct, aiguisé par des décennies d’observation et d’exploration spatiale. Et cette planète… Aucune exoplanète n’était semblable à une autre, bien sûr, mais Terra 56 avait quelque chose de plus encore. Quelque chose de radicalement différent.

Le lendemain de l’atterrissage, l’équipage avait lancé la première expédition sur le sol, à bord de véhicules tout-terrain, en emportant de l’eau et des rations pour une semaine. Ils étaient partis en équipe réduite, Hateya bien sûr, puis Corey, le mécanicien du bord, un quadra aux cheveux vert vif, aux allures d’éternel adolescent, mais qui était capable de réparer n’importe quelle machine avec quasiment rien  même au milieu d’une tempête de sable. A ceux-là s’ajoutaient deux ingénieurs, Léa et Oslan, deux jumeaux, une biologiste et un géologue, tous deux blonds et pâles, qui vivaient dans leur propre monde et se comprenaient presque sans parole. Et enfin Adrien Sorbier, un prospecteur au service des Compagnies Minières, le consortium privé qui finançait en partie l’expédition.

Au deuxième jour sur Terra 56, le petit groupe arriva au bord d’un ruisseau, à peine un filet d’eau qui serpentait dans la plaine turquoise. La chaîne de montagne s’était quelque peu rapprochée, et en pointant ses jumelles vers elle, Hateya aperçut comme des ombres sur certaines de ses pentes. De la végétation ?  Plus probablement un caprice de la roche… La capitaine balaya l’horizon du regard. Les volutes de poussière masquaient une partie de la plaine. Agenouillés près du ruisseau, microscope en main, Léa et Oslan analysaient la composition de l’eau. Soudain Léa poussa une exclamation.

…. 

— Bordel, qu’est-ce que c’est que ça ?

Pourtant, Léa savait très bien de quoi il s’agissait. Oslan avait l’habitude du langage fleuri de sa collègue et sœur, qui sous ses apparences d’ingénue n’hésitait jamais à exprimer le fond de sa pensée. Il en était parfois gêné. Lui, le grand gaillard de l’expédition, faisait presque figure de diplomate à ses côtés. Il s’approcha d’elle puis saisit le microscope à son tour. S’accroupissant, essayant de trouver une position à peu près confortable malgré une combinaison spatiale peu seyante, il approcha le dispositif optique de la visière de son casque. Un éclair de stupeur se forma sur son visage. Il déglutit.

— Ça ressemble à…

Il n’osait pas prononcer le mot. Les échecs passés, les fausses joies et déceptions amères leur avaient enseigné la prudence la plus extrême. Mais quand même.

— Tu vois ce que j’ai vu ?

— Hmmm, il semblerait que ce soit des chaînes d’acides aminés, énonça Oslan sur un ton qui se voulait docte.

Il répondait à Léa autant qu’à lui-même.

— Des chaînes d’acides aminés ?… Tu déconnes ou quoi ? C’est tout ce que tu trouves à dire ?

Sous les yeux incrédules du Sourcier en second, dansaient dans un milieu aqueux cristallin une multitude de colliers de perles, enroulés et enchevêtrés à l’envi. Le spectromètre de masse intégré au microscope affichait en temps réel les caractéristiques des molécules : « groupe méthyle », « azote », « oxygène », « carbone », « fer »…

Il cligna des yeux derrière son casque, qui faisait obstacle à cet instant. Si l’atmosphère avait été respirable, il se serait empressé de le retirer pour coller sa rétine au plus près de l’optique. Pas pour confirmation, juste pour admirer le spectacle. Ces méandres de carbone, telles les boucles d’une chevelure, il les aurait reconnues entre mille. Il se tourna vers les yeux bleus de Léa, hocha la tête et sa jumelle l’imita de façon synchrone.

— De l’hémoglobine, se contenta-t-elle de prononcer.

Oui, il y avait bien de la vie sur Terra 56. Mais ce qui aurait dû les emplir de joie et d’excitation, au contraire, les plongea dans une indicible inquiétude. Le sang qui coulait à l’état de trace dans ce ruisseau, était-il le signe de la vie, ou celui de la mort ?

Khachaturian.

Concerto pour violon en Ré mineur.

C’est ça qui vrombissait dans sa tête, à Corey, alors que la bande remontait le cours d’eau en direction des montagnes. Depuis la découverte des jumeaux, un violon grinçant, un violon insistant, allait et venait dans ses oreilles comme il avait vu tout à l’heure les cellules grouiller devant ses yeux, dans l’écran du microscope. Puis cette bonne vieille Hateya avait lancé le signal du départ :

— On remonte le cours d’eau ! Ouvrez l’œil !

Corey, il n’aimait pas spécialement ça, les trucs vivants, finalement. Léa pilotait le  rover de tête pleine balle dans la plaine turquoise, et au volant de l’autre véhicule, le mécano traînait derrière, attendant, pas complètement rassuré, le moment de l’allegro fortissimo où l’orchestre allait rejoindre le violon solitaire…

Bon sang, ils étaient quand même en train de remonter des traces de sang ! Mouais… est-ce qu’on avait vraiment besoin de trouver de la vie, après tout ? De l’eau, des gaz précieux, des minéraux, d’accord, c’était bien pratique, mais des bidules qui gigotent ? Qui rampent, qui se reproduisent, saignent, et – pourquoi pas ?- qui se mettraient bien quelques humains sous la dent si l’occasion se présente…

Evidemment, Corey se serait avalé la langue plutôt que d’avouer ses appréhensions à ses amis. Hé, c’est qu’il le prenait à cœur, son rôle de boute-en-train de l’équipe ! Il rangea donc ses ruminations dans le coin reculé de son esprit, à côté de son penchant pour la musique terrienne antique, et tourna son regard sur la plaine démesurée qui s’étendait tout autour d’eux.

Au bout de trois jours, il s’attendait toujours à voir l’horizon basculer et l’envoyer dans le ciel rouge. A lui qui avait grandi, comme tous les siens, en gravité artificielle, un sol normal était un sol concave, comme l’intérieur des anneaux du vaisseau des sourciers. C’est pourquoi la courbure convexe de cet horizon, ben ça lui fichait un vertige tenace.

Ce n’était visiblement pas le cas du prospecteur dont il avait hérité. Installé à ses côté dans la cabine du rover, ses yeux n’avaient pas dévié du comlink depuis la découverte de Léa. Visiblement inspiré, il brassait au dessus de la console des poignées d’idéogrammes holographiques qui filaient aussi sec au vaisseau mère. Visiblement même les Compagnies Minières étaient curieuses de la vie qu’on pourrait trouver sur place.

— Moi je crois que cette planète nous aime. Pas vrai, Sorbier ?

— Nous aime ? Le prospecteur loucha dans sa direction, alors que ses doigts fins, visiblement mus par leur volonté propre, continuaient de pétrir les hologrammes. Qu’est-ce que vous voulez dire, Corey ?

— Ha ha ! Le pilote plaqua sa main libre sur le crâne plat de son voisin et appuya : si elle ne nous aimait pas, pourquoi qu’elle nous presserait si fort contre elle, hein ? Ha ha ha ha ha !!

Le rire tonitruant de Corey s’échappa dans le ciel rouge de Nova Terra 56, comme une invitation de l’humain à rompre enfin son silence.

.

— Alors finalement, c’est vrai ?

Laissant les jumeaux à leur logorrhée enthousiaste, la capitaine Hateya Somari s’était installée sur la banquette arrière, et laissait son regard errer du ruisseau à l’échantillonneur, et de l’échantillonneur au ruisseau. Son cerveau peinait à admettre finalement ce qu’elle s’était si longtemps interdit d’espérer. La vie dans les étoiles, si loin du berceau de la vieille Terre…

Hémoglobine. Ici ? D’où (ou de quoi) pouvait-elle provenir ? Elle avait prévenu sa hiérarchie sur le canal dédié, et s’attendait à recevoir bientôt la confirmation que la nouvelle toucherait vite le reste de la grande communauté humaine qui avait abordé ce système stellaire. Mais à sa surprise, elle ressentait une gêne égoïste à l’idée de voir prochainement quelques milliers d’humains fouler le sol de la planète, de sa planète… C’était bête, se dit-elle, mais à présent elle se sentait autant nova terrienne que sourcière. Elle sentait son cœur battre dans sa cage thoracique, en écho au chant imperceptible de ce monde. Réfrénant le désir de chanter à pleins poumons, d’enfouir ses mains nues dans un sol enfin nouveau, elle reporta son regard sur la ligne sinueuse que le véhicule traçait vers les montagnes, avalant à toute allure les kilomètres de poussière bleutée.

— STOP !!

Hateya avait vu quelque-chose auprès du ruisseau. En une embardée, le rover s’immobilisa dans un grand nuage de poussière. La vieille femme se nota mentalement de réprimander Léa pour la témérité de son dérapage contrôlé, et sortit avec les deux jumeaux. Des taches brunes sur le sol turquoise. Elles menaient au cours d’eau. Au bord de celui-ci, une petite flaque de sang finissait de sécher.

Par le cosmos, c’était vrai. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Un instant de silence suspendu passa pendant que Léa prélevait de nouveaux échantillons. Silence rompu par Oslan qui toucha le bras de la capitaine :

— Hateya, vous voyez ça ?

Ce qui avait laissé ces traces de sang avait visiblement traversé le ruisselet : une ligne d’empreintes humides se détachait clairement dans la poussière, partant droit vers la plaine, parallèlement aux montagnes. La vieille sourcière n’hésita pas longtemps avant d’enjamber lourdement l’eau pour se pencher sur les traces fraîches. Une exclamation lui monta aux lèvres à leur vue.

C’est impossible…

— Hateya, prononça Oslan derrière son épaule, ce sont des empreintes de bottes !

— … pointure 42. Modèle antistatique cranté pour l’exploration extra véhiculaire. Regardez, Oslan.

Le logo inscrit sur la semelle s’était imprimé en miroir dans la poussière :

« Consortium des Compagnies Minières »

A CONTINUER…

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