[ATELIER ECRITURE]

La version saponaire

Version de Jonathan Canestro

Le vaisseau des Sourciers s’était posé deux jours plus tôt sur Nova Terra 56, dans une plaine de poussière turquoise, baignée par la lumière aux reflets grenat de l’étoile proche, et barrée au loin par une ligne de sommets dentelés, une chaîne de montagnes sans doute très jeunes. Sur certains des pics, une calotte blanche étincelait dans la lueur rose. Des glaciers ? Difficile de dire à cette distance. En tout cas il y avait de l’eau sur Terra 56. C’était la raison principale de la présence des Sourciers. Les capteurs du vaisseau avaient détecté la signature de l’eau depuis l’espace, dans le spectre lumineux de la planète. D’une manière générale, Terra 56 présentait des conditions quasi idéales pour fonder une nouvelle Terre. Elle était à la même distance de son étoile que la Première Terre de son Soleil. Elle était un peu plus grosse que la Première Terre, la gravité y était donc plus forte, et l’air était plus chargé en dioxyde de carbone, mais rien que des combinaisons adaptées ne puissent compenser. Et il y avait du mouvement à la surface de la planète. Etait-ce des éruptions volcaniques, des vents violents balayant un paysage désert, des pluies ou des orages peut-être ? Ou bien était-ce autre chose, davantage… ? Y avait-il de la vie sur Terra 56 ?

Hateya Somari, la capitaine de l’expédition, une femme âgée tannée par des années d’expéditions spatiales, avait appris à ne plus l’espérer. Depuis des siècles que l’humanité s’était lancée à la conquête du cosmos, on n’avait pas trouvé la moindre trace d’existence extraterrestre, pas même une bactérie. L’homme se résolvait peu à peu à être seul dans l’univers. Et pourtant… Pourtant Hateya avait eu un pressentiment étrange, en apercevant pour la première fois l’horizon de Terra 56 par la baie vitrée de la dunette, ses deux lunes et son jour aux couleurs de crépuscule. L’équipage avait appris à se fier aux intuitions de sa capitaine. Certains murmuraient qu’elle avait des dons chamaniques, hérités de lointains ancêtres sioux, des indiens de la Première Terre. Plus simplement, Hateya avait un bon instinct, aiguisé par des décennies d’observation et d’exploration spatiale. Et cette planète… Aucune exoplanète n’était semblable à une autre, bien sûr, mais Terra 56 avait quelque chose de plus encore. Quelque chose de radicalement différent.

Le lendemain de l’atterrissage, l’équipage avait lancé la première expédition sur le sol, à bord de véhicules tout-terrain, en emportant de l’eau et des rations pour une semaine. Ils étaient partis en équipe réduite, Hateya bien sûr, puis Corey, le mécanicien du bord, un quadra aux cheveux vert vif, aux allures d’éternel adolescent, mais qui était capable de réparer n’importe quelle machine avec quasiment rien même au milieu d’une tempête de sable. A ceux-là s’ajoutaient deux ingénieurs, Léa et Oslan, deux jumeaux, une biologiste et un géologue, tous deux blonds et pâles, qui vivaient dans leur propre monde et se comprenaient presque sans parole. Et enfin Adrien Sorbier, un prospecteur au service des Compagnies Minières, le consortium privé qui finançait en partie l’expédition.

Au deuxième jour sur Terra 56, le petit groupe arriva au bord d’un ruisseau, à peine un filet d’eau qui serpentait dans la plaine turquoise. La chaîne de montagne s’était quelque peu rapprochée, et en pointant ses jumelles vers elle, Hateya aperçut comme des ombres sur certaines de ses pentes. De la végétation ? Plus probablement un caprice de la roche… La capitaine balaya l’horizon du regard. Les volutes de poussière masquaient une partie de la plaine. Agenouillés près du ruisseau, microscope en main, Léa et Oslan analysaient la composition de l’eau. Soudain Léa poussa une exclamation.

[…]

[version saponaire]

Oslan se précipita pour relever sa sœur qui venait de glisser. La roche turquoise s’était désagrégée sous son pied droit qui s’était alors enfoncé dans le ruisseau. Léa, d’un geste réflexe, essuya ses gants tachés de boue sur le bas de sa combinaison.

Hateya s’approcha à son tour de Léa. Après s’être assuré qu’elle ne souffrait pas de sa chute, elle entreprit de contrôler l’étanchéité de la combinaison de la biologiste. Par chance, celle-ci ne semblait pas avoir subi de dommage. Les constantes affichées sur son poignet étaient tout à fait normales.

Pour plus de sécurité, Hateya demanda à Léa de bouger la jambe pour vérifier le fonctionnement de l’exosquelette. Pendant ce temps, Oslan se pencha pour examiner les salissures qui souillaient le blanc de la combinaison. La tête légèrement inclinée, il réfléchit un cours instant puis tendit lentement sa main et frotta son doigt ganté sur la cuisse de Léa, à l’endroit même où elle s’était essuyée.

Le frottement fit apparaître une mousse semblable à celle du savon blanc qu’ils utilisaient à bord du vaisseau, à la différence près que celle-ci était turquoise.

Hateya ne put s’empêcher de remarquer le sourire espiègle que Léa adressa à son frère.

Léa se dirigea vers le ruisseau puis s’accroupit en prenant soin de ne pas riper de nouveau. Elle plongea ses gants dans l’eau puis frictionna ses mains l’une contre l’autre produisant à nouveau de la mousse en plus grande quantité. Elle disposa ses pouces et ses index en opposition afin de former une membrane circulaire, composée de cette étrange mousse. D’un geste souple, elle matérialisa une magnifique bulle translucide aux reflets turquoise.

Tous observèrent un instant ce prisme s’élever lentement sous l’action du vent. Il diffracta un instant la lumière de l’étoile grenat de Terra 56, offrant un incroyable arc-en-ciel aux explorateurs.

L’index d’Adrien fendit l’air et mit un terme à cet instant féerique. La bulle de désagrégea en millier de fines gouttelettes. Fier de son action, il brisa également le silence qui s’était instauré.

– C’est bien beau tout ça mais faudrait peut-être penser à poursuivre la mission, on n’est pas payé à faire des bulles !

-Tu ne peux pas t’empêcher de détruire ce que tu touches, bougre d’idiot, s’exclama Corey, en lui claquant amicalement sa main sur l’épaule.

– Création et Destruction… Tout comme Plaisir et Tristesse, Jour et Nuit, Vie et Mort… Ils nous habitent alternativement – Hateya marqua une courte pause puis repris à l’attention de Corey – Considère-les comme les deux rives d’un fleuve qui coule dans le même sens.

Ses paroles plongèrent le groupe dans un silence méditatif, qui permit à tous les explorateurs de prendre conscience de l’ensemble des événements qui venaient de se dérouler.

Seule Hateya détenait cette science secrète des mots qui avait le pouvoir d’altérer le cours des événements. De nouveau au centre de l’attention, comme l’exigeait sa position de capitaine, elle lança ses instructions.

-Oslan, prélèves un échantillon de cette roche turquoise, et un de cette eau.

Elle avait compris dès l’apparition de la bulle que les jumeaux avaient découvert une forme de saponine, qui s’était libéré de la roche après la chute de Léa. Sur Terre, c’était une substance amphiphiles produite par certains végétaux ou animaux. Il s’agissait d’une découverte extraordinaire, peut-être une preuve que la vie avait existé sur Terra 56. Hateya préféra ne pas s’extasier, et rester prudente quant à ses hypothèses. Elle poursuivit ses directives :

– Adrien, déploie les sas de décontamination à l’arrière des Rovers, et aide Léa à nettoyer sa combinaison. Je ne veux pas prendre le risque de contaminer l’habitacle.

Elle se tourna ensuite vers le mécanicien à la crinière verte :

– Corey, je te charge de transmettre un premier bilan de l’expédition à la station, confirmes la présence d’eau mais ne t’attardes pas sur les premiers échantillons. Dis-leur simplement que nous débutons les analyses.

Sans perdre un instant, l’équipage s’afféra aux missions données par la capitaine. Pendant ce temps, Hateya observait les volutes de poussières. A plusieurs reprises, elle crut apercevoir de grandes formes sombres et longilignes, percer les nuages de poussières. S’agissait-il d’une illusion d’optique ? Elle voulait en avoir le cœur net. Il ne lui fallut pas longtemps pour prendre sa décision. La prochaine étape de l’expédition les amènerait derrière le rideau de poussière…

Les deux Rovers des sourciers traversaient la lande rocailleuse de Terra 56 et filaient à vive allure en direction de la tempête. Corey pilotait le Rover de tête, il transportait la capitaine et le prospecteur. C’était un véhicule blindé multifonctions, dont l’armement lourd trahissait l’origine militaire. D’abord utilisé sur les fronts de Mars pendant le conflit qui avait opposé les colons de Mars à ceux de Titan, il avait été réformé pour laisser place à de nouveaux modèles plus performants. Il avait ensuite été racheté par le conglomérat des industries minière. Le secteur industriel tenait à protéger ses ressources à travers les colonies, les attaques de pirates étaient devenues monnaie courante et l’armée n’avait pas les moyens de se déployer à travers l’immensité de l’espace. Le second rover, lui était un pur produit de la Source, l’organisation scientifique à l’origine des Sourciers, chargée par l’état de découvrir des mondes dont les conditions n’étaient pas trop hostiles à l’installation de colonies. C’était un petit bijou de technologie, un laboratoire ambulant. A son bord se trouvait les deux jumeaux, afférés autour d’un jeu d’échec virtuel et sphérique. Le véhicule était en pilote automatique et suivait celui de tête.

– Gagné ! jubila Léa.

L’échiquier virtuel séparant les deux jumeaux au centre du rover disparut pour matérialiser le visage de Léa couronné et cerclé de feu d’artifices.

Oslan rumina quelques secondes sa défaite, puis relança la partie en défiant sa sœur du regard. Il déplaça un pion avant de se replonger dans l’analyse de sa roche. Ils aimaient toujours jouer en travaillant et Hateya ne leur en tenait pas rigueur. Elle-même ne trouvait la concentration qu’après avoir renoncé à penser à ce qu’elle désirait, puis avoir cesser de cogiter au fait qu’elle venait d’y renoncer.

L’humeur joyeuse des jumeaux se répercutait à travers les systèmes radios et la voix d’Arien raisonna à son tour :

– On dirai bien que les Skywalker s’égarent encore !

– Là ! T’as entendu ce hurlement Léa ? Je t’avais bien dit que Chewbacca était à bord !

Les cinq équipiers rirent de bon cœur. Puis Oslan reprit, plus sérieusement, en lisant ses notes :

– Ok, voilà un petit compte-rendu de mes analyses. Pigmentation turquoise, dureté 6.5 sur l’échelle de Mohs, densité 2.9. Traces de fer, Calcium, Rubidium, Césium, Sodium, Silicium, Oxygène et bien sûr de l’eau. Il s’agit sans aucun doute d’une zéolite de type Pollucite.

– Un peu de Césium… La demande est forte mais les réserves sont largement suffisantes, enfin c’est déjà ça, nota Adrien, plus pour lui-même que pour le reste du groupe.

– Léa, que peux-tu nous dire sur ton échantillon ? s’empressa de renchérir Hateya.

– Eh bien, c’est plutôt inattendu… Pour commencer, l’eau n’est pas potable, il y a trop de saponine. Son effet détergent serait nocif avec une telle concentration… Mais le plus étrange reste la présence d’enzymes de désaminases et d’ammoniac…

– Quoi ? Mais comment cela est-il possible ? Tu es sûr de ne pas avoir contaminé l’échantillon ? s’exclama Hateya.

– Absolument, d’autant que leur structure n’est pas la même que celles que nous avons répertoriées jusqu’à maintenant.

– La Source n’a jamais été confronté à une telle situation.

-Minute ! intervint Corey. Quelqu’un peut-il m’expliquer ? Pour un profane, ce n’est pas évident de suivre une conversation de rat de laboratoire !

Léa reformula à son attention :

– A ma connaissance, la saponine n’a jamais été conçu spontanément par autre chose que des espèces Terriennes. Cela pourrait être traduit par : Terra 56 a connu la vie… Mais la découverte d’enzymes désaminases est plutôt déroutante. Il s’agit d’enzymes capables de sectionner la partie amine des acides aminés, et l’ammoniac prouve que cette réaction a probablement eut lieu. C’est un peu comme si la planète avait digéré la vie.

– Gaïa va nous dévorer ! ricana Adrien, qui préférait attendre d’avoir une hypothèse plus tangible mais surtout, et il n’osait pas se l’avouer, bien moins inquiétante.

Le reste de l’équipe ignora sa remarque. Hateya poursuivit, comme si de rien n’était :

– Tachons de découvrir d’autres éléments, j’ai repéré des structures étranges derrière la poussière, peut-être que cela nous conduira à une nouvelle découverte.

Adrien revint à la charge, peu disposé à se laisser oublier :

– Droit dans la tempête hein !? Quand tes ancêtres sioux disaient qu’il fallait suivre les signaux de fumée, ils ne voulaient probablement pas dire d’aller dedans. T’as peut-être oublié l’incident sur Gliese 581G mais pas moi !

Adrien faisait référence à une décision de la capitaine qui avait valu à un véhicule valant plusieurs millions des dommages irréversibles pendant une tempête, ce qui avait mis fin à une précédente mission.

– C’était il y a quatorze ans, rappela la capitaine avec un soupir. On a perfectionné nos technologies depuis… Je t’ai connu plus courageux, tu te fais vieux mon ami.

Déjà le crépuscule annonçait la fin de la deuxième journée d’exploration, l’étoile du système commençait à disparaitre à l’est, et le plus gros des satellites de TerraNova dessinait un magnifique croissant lumineux à l’ouest. Quant à la deuxième lune, dissimulée de l’autre côté de la planète, elle restait invisible à nos explorateurs. Lentement le ciel rouge-orange s’assombrit, et de magnifiques aurores boréales rosées le déchirèrent de part en part. Progressivement la nuit se piqueta d’étoile par milliers.

La sérénité du ciel nocturne contrastait de manière frappante avec le chaos qui s’approchait inexorablement des explorateurs. La violence des vents s’intensifiait à mesure que le cœur du maelström se rapprochait et une pluie abondante s’ajouta au sinistre. Peu à peu d’épais nuages obstruèrent la voute céleste. Certains étaient gigantesques et gorgés d’eau, de couleur noir et gris. Ils semblaient déferler à travers la plaine tel les vagues d’un tsunami. D’autre étaient plus fins et reflétaient la couleur rouge sang d’une des deux Lunes. La scène avait viré en apocalypse mais n’en demeurait pas moins sublime aux yeux des Sourciers.

Lorsque leur visibilité fut réduite au point de ne plus distinguer que les contours des véhicules, Hateya donna l’ordre de les stopper. Ils s’ancrèrent dans la plaine turquoise, grâce à un ingénieux système de foret, qui s’enfonçaient dans le sol, sous le châssis des véhicules, et les maintenait fermement enracinés.

Les vitrages se recouvrirent de leurs rideaux métalliques laissant la lumière artificielle des néons éclairer seule les sourciers.

Ils dégustèrent rapidement un repas lyophilisé, puis s’allongèrent sur leurs couchettes, pensifs.

La pluie battante martelait les carrosseries et des éclairs vinrent terminer leur course sur les véhicules. Heureusement le capot était conçu pour recycler une partie de l’énergie électrique. Malgré la violence des bourrasques, le système d’ancrage tenait bon. L’équipage était rodé aux tempêtes les plus spectaculaires et leur technologie semblait les isoler complètement du cataclysme qui se déchainait à l’extérieur.

Ils n’eurent aucun mal à s’endormir, laissant aux équipements en fonctionnement le soin d’analyser les données sur l’intempérie.

Alors que l’équipage s’était endormi, les néons clignotèrent et émirent quelques grésillements avant de s’éteindre définitivement. Progressivement, les équipements cessèrent de fonctionner à l’insu des Sourciers.

La tempête se calma peut avant l’aube, laissant à une fine pluie et un léger vent froid le soin de rappeler son passage. Une alarme se déclencha et réveilla les explorateurs.

La température avait nettement diminué, et le froid avait engourdi l’équipage. Une légère buée s’échappait à chacune de leur respiration.

– Les systèmes de sécurité se sont tous enclenchés et la totalité de l’énergie restante est utilisé vers les appareils de survie, déclara anxieusement Corey après un rapide coup d’œil autour de lui. Quand les batteries seront vides, nous manquerons d’air.

– A nous le Guinness des records pour la mort la plus stupide, comme c’est exaltant ! Ironisa Adrien.

Hateya se retint de lui répondre et se joignit à Corey dans le listing des défaillances.

Corey activa manuellement quelques boutons sur le tableau de bord et l’alarme s’interrompit. Il manipula une manivelle pour entrouvrir les volets du Rovers.

La lumière rouge de l’étoile pénétra l’habitacle. Et après un court temps d’adaptation, Corey essuya les fines gouttelettes de condensation collées aux hublots et permit au reste de l’équipe de découvrir le paysage.

Le sol rocheux était recouvert d’une épaisse couche de boue turquoise de plusieurs centimètres. La plaine s’étendait ainsi à perte de vue. Seul relief naturel, la chaîne de montagne se dressait fièrement au Nord. Tandis qu’au Nord-Est, d’immenses structures perçaient les nuages à quelques kilomètres de leur position.

Les volets du deuxième rover disparurent à leur tour, et les jumeaux saluèrent d’un signe de main les occupants de l’autre véhicule. Par chance le rover de la Source avait subi moins de dommages, seuls les instruments de mesures avait cessé de fonctionner et les jumeaux, qui avaient rapidement compris la situation, adoptaient un air de raillerie depuis leur habitacle chauffé. Mais ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne se trouvent dans la même situation.

Corey tenta d’allumer le moteur mais après plusieurs tentatives infructueuses abandonna l’idée et enfila sa combinaison, prêt à mettre les mains dans le cambouis. Il restait silencieux, concentré sur ses objectifs.

Les deux rovers étaient enlisés dans la boue, les moteurs à l’arrêt. Dans la cabine du premier, Adrien adressa à Hateya un regard réprobateur, qui signifiait je te l’avais bien dit. La capitaine se contenta de hausser les épaules et se servit sereinement un café. Les petits traquas du quotidien faisait partie des risques inhérents de telles explorations, elle s’y était habituée et comptait sur les qualités professionnelles de sa troupe pour y remédier. Elle porta le café froid à ses lèvres et s’adressa à Adrien :

– Cesse de ruminer, nous allons bien, tâchons de penser à une solution plutôt que revenir sur l’origine du problème. En agissant différemment tu aurais simplement changé la nature du problème et non sa réalité.

– Avec tout le respect que je te dois, capitaine, ta langue ne fera pas redémarrer le véhicule.

– T’as raison, enfile ta combinaison et va donc aider Corey.

L’ordre était clair, et Hateya n’avait aucune envie de s’attarder sur sa décision. C’était son rôle de capitaine de prendre des responsabilités et d’en gérer les conséquences. Elle ne partageait ce fardeau que lorsqu’elle l’estimait nécessaire et ce n’était vraiment pas courant.

[…]

Adrien endossa sa combinaison et rejoignit Corey, qui avait déjà entreprit le tour du véhicule pour diagnostiquer les anomalies engendrées par la tempête. Leurs chevilles s’enfonçaient d’une dizaine de centimètres dans la boue. Des veinules teintées de différents bleus striaient la surface turquoise du limon et chacun de leur pas déformait les sillons.

Depuis son rover, Oslan s’amusait à chercher un modèle mathématique pouvant prédire avec précision ces déformations chaotiques. Sa sœur, adressa à Adrien et Corey un petit signe de sa main libre et un sourire taquin à travers le hublot de son abri toujours chauffé.

Corey lui rendit son salut en ignorant la plaisanterie, et se plongea dans l’analyse des circuits électriques. Adrien quant à lui, déploya son majeur en guise de réponse.

– Cette mélasse s’est infiltrée partout, je vais avoir besoin de main d’œuvre pour nettoyer tout ça, annonça Corey, mais sa voix ne parvint pas jusqu’aux occupants des habitacles.

Adrien fit, non sans satisfaction, signe à Léa d’enfiler sa combinaison. Il frappa également au hublot à l’attention de la capitaine pour lui transmettre le même message.

Quelques minutes plus tard ils étaient tous à l’extérieur, réunis autour de Corey. Celui-ci se racla la gorge avant de prendre la parole, conscient d’être au centre de l’attention.

– Avant d’établir un diagnostic complet, il faut nettoyer et sécher les circuits souillés. Je propose de basculer l’énergie restante du Rover militaire vers un compresseur et utiliser la pression de l’air pour dégager la boue des circuits de la Source-mobile, suggéra-t-il.

– Tu penses qu’il faut abandonner le blindé ? dit Hateya en posant sa main sur le capot.

– Pas nécessairement, je veux juste m’assurer qu’on puisse rentrer à bon port avec la Source-mobile. Les incidents électriques ne sont pas encore critiques, et la réparer nous assurera un retour sain et sauf. Avec un peu de chance, une fois en état de marche, elle génèrera suffisamment d’énergie pour réhabiliter le blindé.

– Quelqu’un à une autre idée ? interrogea la capitaine qui n’obtint que le silence en guise de réponse. Eh bien, ne perdons pas un instant ! Corey tu supervises les réparations, on se met à ta disposition.

Les explorateurs se mirent à la tâche, et le moteur de la Source-mobile et ces 12 cylindres résonna dans la plaine après une petite heure de labeur. Une clameur de joie s’empara des Sourciers.

Lorsque Corey ressortit de la Source-mobile par le sas de décontamination, Léa accourut dans sa direction.

– T’es le meilleur ! s’exclama-t-elle en collant son casque à celui de l’ingénieur comme pour l’embrasser sur la joue.

– C’est… Ce n’est pas terminé, bredouilla-t-il, en prenant la couleur de l’étoile de NovaTerra.

– Soit pas modeste, répliqua Hateya, tu viens de nous sauver la mise. Et tu es la preuve dont Adrien avait besoin pour comprendre qu’on doit compter les uns sur les autres.

Elle envoya un clin d’œil au prospecteur.

Celui-ci se contenta de faire la moue :

– Mouais, en attendant la mission est avortée jusqu’à preuve du contraire, le blindé est quasiment Hors Service.

Oslan, trop euphorique pour se laisser doucher par la mauvaise humeur d’Adrien, claqua l’épaule du mécanicien :

– A ta place, je demanderai une augmentation !

– Je n’y manquerai pas, assura le quadra aux cheveux verts, mais seulement quand j’aurais remis en marche la bête de métal ! Vous pouvez commencer son décrassage pendant que je désembourbe l’autre ?

– Comptes sur nous, Corey ! répondirent en cœur les jumeaux.

Et la troupe se remis à la tâche. La réparation de l’ex véhicule militaire, bien plus délicate que celle de la Source-mobile, permit à Corey de déployer toute l’étendue de ses talents. Une fois le blindé nettoyé, il commença à concevoir d’ingénieux ponts hermétiques entre les différents systèmes des véhicules. Des circuits électriques jusqu’aux mécanismes de filtrages d’air et d’humidité, tous les appareils endommagés du cuirassé furent reliés à leurs homologues du laboratoire mobile. Un réseau se tissa entre les deux rovers, dont seul Corey pouvait en appréhender la complexité. Le reste de l’équipage se retrouva à observer, inutile, le génie qui tressait les entrelacs de matière tel une araignée sur sa toile.

Enfin, après de longues heures, Corey rejoignit ses collègues à l’intérieur du laboratoire et s’affala sur l’une des chaises. Hateya lui avait préparé un café. Il le refusa poliment, et s’empara d’un sachet d’Earl Grey.

– C’est gentil mais tu sais bien que le café ce n’est pas ma tasse de thé !

Elle l’avait encore oublié, et se promit une fois de plus d’être plus attentive à ce genre de détail. Sans se vexer, Corey entreprit d’expliquer son intervention :

– Si mes calculs sont bons, il pourra redémarrer dans trois heures. Je n’ai pas pu sauver le système de climatisation ni celui du foret qu’il faudra sectionner pour repartir. Le reste est fonctionnel et l’habitacle sera viable à l’issue de l’attente. Ça donne quoi les analyses sur la tempête ?

Oslan se chargea de lui répondre :

– Les données n’ont pas pu être sauvegardées, mais ce n’est pas le plus important. Vue son ampleur, le vaisseau-mère en a sûrement gardé une trace.

– Oui, peu importe ! Nous sommes tous reconnaissant pour le travail que tu as fourni, merci l’ami !

A l’étonnement général, c’était Adrien qui avait prononcé ses mots. Corey lui sourit et ajouta :

– Gliese 581G, on l’a vécu une fois… on ne le vivra pas deux !

Adrien lui donna l’accolade en guise de réponse. Hateya sourit à son tour, avec une légère envie. Sa position de supérieur hiérarchique l’éloignait en partie des membres de son équipe. Elle rêvait parfois de pouvoir simplement partager leur joie, dans des moments comme celui-ci.

Encore quelques heures et, comme l’avait annoncé Corey, le blindé fut à son tour opérationnel. Au prix d’une consommation importante de carburant, qui réduisit potentiellement d’un jour la mission, en plus de la demi-journée perdue en réparation. Le foret sectionné fut abandonné à même le sol et sans tarder, l’équipage repris la direction du Nord-Est vers les étranges structures qui occupaient l’horizon depuis leur premier pas sur NovaTerra .

La chaleur de l’étoile avait séché la boue. Elle se cassait sous le poids des Rovers qui progressaient lentement.

Les structures étranges apparaissaient de plus en plus nettement à mesure qu’ils s’en approchaient. Leurs vues plongeaient les sourciers dans un silence contemplatif. De forme cylindrique, elles rappelaient par leur hauteur les buildings des colonies humaines, mais elles étaient beaucoup plus fines. Une centaine d‘entre elles, disposées à intervalles réguliers, recouvraient la plaine sur plusieurs hectares.

Il était clair que la présence de telles installations n’avait rien de naturel. Elles avaient été conçues par une civilisation extra-terrestre mais les sourciers, conditionnés par les millénaires de solitude de l’humanité, refusaient de se rendre à l’évidence.

Même une fois arrivé au pied de l’une de ces structures, le silence perdura. Ils enfilèrent mécaniquement leurs combinaisons, sans échanger un regard. Lorsqu’ils quittèrent les rovers, l’étoile grenât se couchait.

Ils admiraient maintenant à quelques pas les détails de l’édifice. A la surface du cylindre métallique, une substance bleu fluorescente circulait en y suivant des sillons sculptés.

Un genou à terre, Corey scrutait le sommet de la construction.

Adrien demeurait bouche bée, les mains jointes derrière le crâne.

Les jumeaux se tenaient la main et se fixaient mutuellement.

Hateya avait les doigts qui tremblaient, ce qui trahissait une perte d’assurance inhabituelle chez elle.

Le temps parut se figer autour de l’expédition, des explorateurs égarés dans les méandres de leurs pensées.

Au prix d’un effort considérable, Hateya finit par lâcher prise et se laissa envahir par ses sentiments.

Toutes ses certitudes s’effondrèrent d’un coup. Une larme perla sur sa joue, entraînant avec elle l’ultime résidu de ce qui avait constitué sa réalité jusqu’ici.

Ça en valait la peine ! songea-t-elle. Elle aurait bravé une deuxième tempête pour se trouver là où elle devait être. Et finalement, elle parvint à concevoir l’idée avec laquelle les autres membres de l’équipage luttaient encore :

– L’Humanité n’est pas la seule civilisation de l’univers.

Cette petite phrase libéra les équipiers de leur stupeur, et ils prirent peu à peu conscience de l’ampleur de cette découverte.

– Sic itur ad astra ! prononça Adrien en prenant une posture solennelle

– Ainsi atteint-on les astres… Je ne savais pas que tu parlais latin ! rétorqua Oslan

– Je ne parle pas latin ! Mais comme ce moment va être gravé dans l’Histoire, autant donner à mon personnage un air intelligent !

Ses collègues rirent de bon cœur avec lui. Puis Hateya reprit les choses en main.

– Bien, tâchons de découvrir de quoi il s’agit ! Oslan, Léa ? A vous de jouer !

Sur l’ordre d’Hateya les jumeaux exécutèrent un nombre important d’allers et retours entre le laboratoire et la structure. Ils observèrent, puis prélevèrent et analysèrent méthodiquement chaque élément qui composait le cylindre. Les autres se contentaient de déambuler entre les structures et scruter l’horizon en cherchant d’autres signes de vie.

A la nuit tombée, les jumeaux furent enfin prêts à transmettre le résultat de leurs analyses. Ils réunirent le groupe autour de la structure dont la luminescence bleue offrait un spectacle d’une autre dimension. Léa prit la parole :

– Ces cylindres sont composés en grande majorité de Nickel et de Cuivre. Les données indiquent que la substance qui se trouve à l’intérieur semble être un plasma de Césium. Elle n’émet qu’une très faible radioactivité. Et malheureusement, il n’y a toujours pas d’être vivant à examiner… pas la moindre bactérie.

Oslan prit le relais :

– On a également sondé le sol et trouvé de fortes concentrations d’Argent, de Rhodium et de Cuivre, entourant une poche de plasma de Césium d’une taille colossale et d’une température très élevée. Il y a également une structure similaire à celle-ci qui s’enfonce dans la croûte de Terra 56. Elle est composée de Tungstène, de Tantale et également du même plasma de Césium.

– Une hypothèse sur sa fonction ? interrogea la capitaine

– Non, aucune, avouèrent les jumeaux en chœur.

Un silence suivit. Soudain Corey s’exclama :

– Une centrale électrique !

Les autres le regardèrent sans comprendre. Le génie de la mécanique reprit :

– Ca m’a tout l’air d’un convertisseur Thermoïonique ! Là, une Anode en Nickel, refroidie par l’atmosphère ! dit-il en posant sa main sur la structure froide. Plongée dans une poche de plasma de Césium. – Il posa son doigt ganté sur le sol pour modéliser sa pensée-. Et à l’opposé, une cathode en Tungstène, chauffé par la température en profondeur. Ça pourrait produire un courant électrique qui circulerait à travers le cuivre…

– C’est brillant ! s’exclama Léa. Donc toutes ces structures seraient les parties visibles de piles géantes ! Mais pour alimenter quoi ?

Oslan remarqua :

– Le seul moyen de le savoir c’est de trouver la plus forte concentration de cuivre et de la suivre.

Hateya, intervint :

– A condition que l’objectif se trouve à moins d’un jour de notre position ! On va bientôt atteindre la moitié de nos réserves d’eau et la quantité de carburant restant ne nous permettra pas de poursuivre au-delà ; Il faut penser aux nécessitées du retour.

– On ne peut pas s’arrêter maintenant, protesta Adrien, avide de découvrir le secret de cette planète.

Corey vint se poster à côté d’Adrien :

– Je suis de son avis ! On n’a qu’à rationner nos vivres ! Pour le carburant j’en fait mon affaire, je sais aussi piloter sans en brûler inutilement.

Les jumeaux acquiescèrent et se rangèrent à l’avis des deux hommes. Adrien se tourna vers Hateya :

– Capitaine Somari ?

Hateya souhaitait de tout cœur se joindre à l’euphorie générale, mais son intuition lui dictait le contraire. Elle avait un mauvais pressentiment. Quelque chose clochait sur cette planète, qui refusait de se manifester à son esprit. Il semblait plus raisonnable de rebrousser chemin mais d’un autre côté, ne pas résoudre le mystère revenait à laisser d’autres Sourciers terminer la mission.

Elle fixa l’un après l’autre les membres de son équipage. Dans cette quête pour l’inconnu, c’étaient leurs rêves de gamins qui se matérialisaient. Ils semblaient prêts à tout sacrifier pour poursuivre l’aventure, et avaient déjà oublié l’épisode de la tempête. Alors, pour eux, pour ce qu’ils avaient accompli jusqu’alors et pour les expéditions futures, elle décida de continuer. Elle leur dissimula son angoisse et alla transmettre un message Radio à l’attention de la station :

– De Rover 56 à Station. C’est avec énormément d’émotions que nous vous annonçons la découverte d’une technologie alien sur notre Position : Latitude 47.4528, Longitude 1.0477. Pas de vie découverte et aucun danger notable à signaler. Il semblerait qu’il s’agisse d’un vestige archéologique. Le premier rapport vous parviendra avec les données récoltées au sol. En l’absence de protocole adapté, l’objectif de la mission reste inchangé. Nous poursuivons l’exploration. Fin de transmission.

Les paroles de la capitaine ravivèrent les espoirs des Sourciers. Le cœur plus léger, Corey programma l’un des drones afin de relier sa caméra au programme d’analyses des sols, et de trouver la concentration supposée de cuivre, qui leur indiquerait la route à suivre.

Les Sourciers, incapables de dormir, visionnaient en temps réel la structure des sols survolés par le drone. Dans leur empressement, ils manquèrent une manœuvre et le drone percuta dans l’obscurité l’une des structures.

– Ce petit imprévu nous rappelle à l’ordre ! déclara Hateya. Repos tout le monde, on reprendra demain.

Elle soupira, elle allait devoir ajouter le drone à la facture déjà salée de la mission.

Tous regagnèrent leurs couchettes, se résignèrent à dormir, calmant tant bien que mal leurs pensées agitées. Une tâche plus facile pour les jumeaux qui eux, jouissaient d’une climatisation en état de marche.

[…]

Les jumeaux se réveillèrent dès les premières lueurs de l’aube. Ils étaient tout excités et prirent à peine le temps d’avaler un bol de céréales. En quelques minutes, ils étaient déjà en combinaison à l’extérieur, cherchant activement la masse de cuivre avec le détecteur récupéré sur le drone accidenté. Les trois autres membres d’équipage étaient plongés dans un sommeil profond, blottis dans leur duvet chaud, ils récupéraient suite à la fatigue accumulée la veille.

Le binôme finit par tombé sur la source de cuivre, ils retournèrent dans le labo et observèrent en silence l’imagerie du sol scannée sur l’écran d’ordinateur.

Oslan donna un petit coup de coude à Léa, avant de pointer du doigt le trajet à suivre, puis simultanément ils levèrent la tête vers le Nord.

La voix d’Oslan résonna dans le blindé, toujours plongé dans l’obscurité :

– Debout là-dedans ! La lumière du jour nous a ouvert la voie !

Hateya, première debout, se dirigea vers l’émetteur, son duvet autour des épaules.

– Que se passe-t-il Oslan ?

Corey s’était levé à son tour et ouvrit manuellement les volets, pour économiser l’énergie. Oslan reprit avec enthousiasme :

– On a trouvé le chemin ! Chaque structure transmet l’électricité à travers un filon de cuivre. Tous les filons se regroupent en un tracé unique de la largeur d’un terrain de football, et devinez où il va ?

– J’ai ma petite idée mais la réponse va pas te plaire… grommela Adrien depuis sa couchette.

Les jumeaux ne pouvaient pas l’entendre et Oslan s’empressa de vendre la mèche :

– Vers la chaîne de montagnes !

Hateya toujours assommée par sa courte nuit de repos, s’adressa aux lève-tôt.

– Depuis le temps que je veux voir ces sommets de près ! C’est l’occasion rêvé ! Nous allons enfin savoir ce que cachent les ombres, sur ces escarpements. Laissez-nous le temps d’avaler quelque chose, et on sera opérationnel pour le trajet !

La troupe reprit donc naturellement son chemin vers les pics.

La terre turquoise était encore molle à cause de la tempête, et les rovers laissaient des traces profondes derrière eux. Sans trop savoir pourquoi, les explorateurs avaient un pincement au cœur à l’idée de laisser les structures aliens derrière eux

– Vous croyez qu’ils sont encore vivants ? dit Léa à travers la radio.

– De qui tu parles ? intervint Corey

– Des extraterrestres ! C’est vrai, quoi ! C’est la première fois qu’on trouve des traces de vie et elle est éteinte ! Puis on trouve une technologie alien, et il y a de fortes chances qu’il s’agisse d’un vestige archéologique… Ce n’est pas vraiment ce que j’espérais !

Adrien, qui suivait la conversation tout en mâchonnant une de ses éternelles barres protéinées, décida de donner son opinion :

– Je pense que s’il y avait une vie intelligente, on l’aurait déjà croisé d’une manière ou d’une autre. Pour ma part leur civilisation s’est éteinte ! Ou bien ils ont quitté la planète depuis longtemps !

Oslan, qui montrait un tempérament plus rêveur que celui d’Adrien, émit à son tour une hypothèse :

– Et s’il s’agissait d’une espèce qui contrairement à nous autres colonisateur du cosmos, avait entrepris de conquérir les dimensions de l’infiniment petit ? Ils seraient probablement toujours là, mais inaccessibles, invisibles à nos yeux, à nos microscopes même, sans doute…

Léa reprit la parole :

-Capitaine, vous en pensez quoi ?

Hateya prit le temps de réfléchir, prononça lentement :

– Je pense que notre imagination est limitée par notre propre expérience. S’il y à une vie extraterrestre elle doit être fondamentalement différente de ce que nous pouvons concevoir. L’existence n’a sûrement pas le même sens pour elle que pour nous.

– Quand même, j’aimerai bien pouvoir communiquer avec une autre espèce ! renchérit Léa euphorique. Voir la naissance d’un empire galactique comme dans les livres !

– Regardez, le sol ! coupa Corey qui était focalisé sur le pilotage de son rover.

La roche sous leurs roues semblait polie par le temps, et de minuscules cristaux de quartz étaient éparpillés à sa surface. Sous l’effet de l’obscure lumière de l’étoile et du mouvement des véhicules, les cristaux scintillaient sporadiquement.

Oslan murmura à sa soeur :

– C’est incroyable les panoramas que nous offre cette planète…

Il parlait très bas comme pour ne pas briser un enchantement.

– C’est comme si le ciel nocturne gagnait les profondeurs de la terre durant la journée, lâcha-t-elle, ébahie.

De son côté Hateya, était subjuguée par ce nouveau spectacle. Elle n’arrivait pas à détacher le regard de la plaine scintillante de l’autre côté de la vitre du rover, le paysage clair barré au fond par l’ombre des sommets. Elle se sentait bien, sur cette planète. Elle vivait un vrai voyage féérique, et s’imaginait déjà prendre sa retraite sur une colonie installée au milieu de cette terre céleste, au pied des montagnes.

Soudain la terre trembla et l’extirpa de sa rêverie. Le sol secoua violemment les rovers. Les membres de l’équipage s’agrippèrent aux fauteuils, aux couchettes, où ils pouvaient… Dans le laboratoire, des béchers et des éprouvettes roulèrent sur les paillasses, ils se seraient écrasés au sol sans les barrières de sécurité. Les explorateurs finirent roulés en boule sur le sol, la tête entre les bras. Les secousses durèrent une longue minute qui leur paru une éternité. Puis le séisme cessa aussi brusquement qu’il était arrivé. S’en suivit un grondement sourd, dont les échos résonnèrent dans la vallée.

– Nom de dieu, c’est quoi ça ? s’exclama Corey dans l’intercom.

Oslan remarqua la vapeur s’échappant du sommet qui leur faisait face. Le dôme se dilata subitement. Oslan perdit son sang-froid et s’exprima avec affolement :

– Merde c’est pas une montagne c’est un volcan ! Le séisme a déclenché une éruption, il faut se tirer de là !

Sans perdre un instant, Corey alluma les gaz. Son rover fit une embardée et fila dans la direction opposée au volcan, entrainant avec lui le laboratoire-mobile, dont le pilote automatique était toujours en activité. Le terrain accidenté les secouait presque autant que l’avait fait le tremblement de terre. Une gigantesque explosion retentit du côté des pics, et le cratère au sommet cracha une gerbe de liquide bleu coiffée de mousse. Le panache de matière se déploya dans l’atmosphère en défiant l’attraction gravitationnelle pendant un instant, puis elle s’abattit sur les véhicules.

Les sourciers s’étaient protéger machinalement la tête avec leur main, mais l’impact fut moins violent que ce à quoi il s’attendait. La retombée de la gerbe fut en revanche assourdissante.

– De l’eau … Pas un volcan… Un geyser géant ! hurla Oslan pour se faire entendre.

Adrien s’empara de son intercom, qui était tombé lors de la course folle.

– On a un autre problème ! eut-il à peine le temps de prononcer avant que la masse d’eau emporte les véhicules qui avaient perdu toute adhérence.

Heureusement ils demeuraient hermétiques.

– Accrochez-vous ça va secouer ! s’exclama Hateya qui empoigna sa ceinture.

Un courant violent les entraînait vers une ombre qui flanquait la montagne. Les Sourciers bouclèrent leur ceinture comme si elle pouvait les protéger d’une noyade. La source-mobile était passée en tête du convoi. Léa jeta un coup d’œil par la vitre avant. L’eau mousseuse réduisait la visibilité, mais la biologiste parvint quand même à observer l’ombre. Prise de panique, elle s’écria d’une voix changée :

– Une Crevasse ! C’est une crevasse !!

Inexorablement les véhicules étaient emportés par les flots. Leur destin semblait scellé. Corey tenta une manœuvre désespérée. Il actionna à distance le foret de la source-mobile, qui s’enfonça dans le sol et stoppa quelques secondes le véhicule. Mais le blindé le percuta de plein fouet et l’arracha à son ancrage. En un instant les Sourciers, impuissants, furent engloutis par le trou béant.

Une aubaine pour eux, l’inclinaison de la pente n’était pas verticale, ce qui leur aurait valu une chute mortelle.

Les rovers entamèrent des tonneaux fracassants dans les entrailles de la montagne, portés par l’intensité du courant qui s’était formé. Sous l’effet de la force centrifuge, les Sourciers perdirent connaissance. Des morceaux de taules s’arrachaient de l’enveloppe des véhicules à chaque rotation, les dépouillant peu à peu du dernier rempart qui préservait l’équipage d’un sort sinistre.

La glissade prit fin. La source-mobile s’immobilisa sur son toit et le blindé sur ce qui restait de ses roues, les deux à moitié immergés dans une mare éphémère. L’eau continuait son voyage vers les profondeurs à travers des failles trop petites pour laisser passer un véhicule. Elle terminait de s’écouler lentement par les lézardes de la roche. Une faible lumière filtrait de la crevasse par où étaient passés les rovers. La pénombre masquait une part de la grotte.

Les alarmes des véhicules sortirent les sourciers de leur inconscience. Les systèmes d’anticollisions avaient fonctionné et l’équipage était indemne. Brutalement tirés de leur évanouissement, les sourciers balayèrent du regard leurs habitacles, se demandant où ils se trouvaient. Puis ils finirent par retrouver leurs esprits. Ils enfilèrent rapidement les combinaisons éparpillées dans les habitacles. Corey coupa les alarmes d’un coup de poing. De l’eau filtrait par les fissures des carlingues. Les barrières d’étanchéité avaient cédé, ils devaient quitter leurs véhicules. Ils s’en extirpèrent et se regroupèrent dehors dans la caverne. La température extérieure aurait fait fondre du Brome sur la planète Terre. Heureusement, leurs combinaisons compensaient cette chute brutale du climat. L’eau couvrait leur membres Inférieurs jusqu’aux cuisses. Heureusement, ils découvrirent rapidement une portion de la grotte suffisamment élevée pour s’extraire complètement des flots. Epuisés par leur dernier effort, ils s’allongèrent sur la roche humide pour récupérer des forces.

– Tout le monde va bien ? s’enquit la capitaine.

– J’ai mal au crâne, mais ça va ! répondit Corey

Léa et Oslan s’examinaient mutuellement.

Adrien observa l’étendue de la catastrophe et arriva rapidement à une conclusion implacable :

– On est foutu…

Hateya s’efforça de se ressaisir et s’adressa à son équipe.

– Nos combinaisons disposent de trois heures d’autonomie, rappela-t-elle, tachons d’en faire bon usage. Corey, est-ce que tu peux nous bricoler un radeau ou un abri avec ce qui reste des rovers ? On peut encore récupérer l’eau et les vivres dans les cabine. Je suis sûr que les contenants ont résisté aux chocs. On pourra peut-être survivre jusqu’à l’arrivée d’une mission de sauvetage.

Léa s’effondra en sanglot. Oslan l’enlaça pour tenter de la rassurer.

Corey restait sceptique quant à la proposition de sa supérieure. Il soupira :

– Je vais voir ce que je peux faire.

Il s’attela à l’examen des épaves. Un espoir, aussi mince soit-il, valait mieux que rien.

Adrien, qui refusait lui aussi de désespérer, se glissa dans le blindé à demi immergé pour tenter de faire fonctionner la radio. En vain. Il retourna voir Hateya pour lui annoncer :

– Je vais chercher un autre moyen d’envoyer un signal de détresse.

Elle ne répondit pas. Elle observait les parois de leur prison, l’humeur sombre. Elle se savait responsable de leur condamnation. Pourquoi n’avait-elle pas suivi son instinct quelques heures plus tôt ? se dit-elle. Elle s’accroupit et posa ses mains gantées sur la roche. Elle ferma les yeux et laissa ses larmes couler sous son casque.

Ils venaient de faire la découverte la plus extraordinaire de leur siècle, et ils n’auraient pas le temps de la savourer.

La vie était trop précieuse pour leur être retirée ainsi. Sa détresse se mua en colère et elle frappa violement le sol de ses deux poings. La décharge de douleur la rassura étrangement. Elle l’accueillit avec joie comme pénitence, mais surtout parce qu’elle lui fit sentir que la vie coulait encore dans son être.

Elle se mit à marteler le sol de ses poings en imprégnant un rythme sonore constant. Peu à peu elle se laissa envahir par une étrange sensation d’abandon. Les sons produits par l’impact de ses mains sur la roche se changèrent en un rythme de tambours. Intérieurement elle s’était calmée. Elle se trouvait dans un espace ou seule la cadence des percussions pouvait lui parvenir. Un lieu ou ni le temps ni l’espace n’avaient de sens. Elle connaissait cet endroit. Elle y était déjà venue quelques années auparavant, sans se souvenir comment. Elle avait tenté en vain de le retrouver puis avait déduit qu’il s’agissait d’un rêve. Après tout cela avait l’air d’un songe, rien n’y avait de sens excepté peut être sa présence. Ses yeux s’étaient révulsés. Les protections de ses gants avaient cédé et la roche mordait la chair de ses mains qui s’obstinaient à battre la cadence.

Adrien s’écria :

– La capitaine a perdu la boule ! Elle va se tuer !

Il voulut se précipiter vers elle pour l’arrêter. Léa le retint par le bras.

– Ne la touche pas ! Elle a déjà fait ça une fois quand elle a perdu son père !

Léa était la seule à avoir assisté à cette étrange transe chamanique qui avait transporté son amie alors qu’elle tentait de lui apporter du réconfort.

– Et alors ? gronda Adrien qui ne supportait pas de voir son supérieur dans cet état.

– Alors il était venu à elle pour la rassurer avant de disparaitre… répondit Léa sans se laisser démonter par la grimace d’incompréhension d’Adrien.

Oslan qui s’était approché soupira :

– Nous sommes condamnés… Laissons-la partir comme elle le souhaite…

Abasourdi, Adrien reprit à l’attention de Léa :

– Ne me dis pas que ton esprit scientifique croit à ce genre d’incantation ?

– Mon esprit scientifique n’est pas capable d’expliquer tous les phénomènes ! La science est une clef qui ouvre certaines portes mais pas toutes, rétorqua-elle.

Sur le visage mobile du prospecteur, à expression scandalisée succéda un air de dépit.

– Ho et puis merde ! Je laisse tomber, tu es aussi folle qu’elle !

Joignant son geste à la parole, il projeta le moniteur de radio en panne contre l’une des parois de la grotte. La machine se pulvérisa en mille morceaux.

Hateya se releva. Ses yeux s’ouvrirent mais ne semblaient pas voir la grotte autour d’elle. Des mots sortirent de sa bouche mais il ne s’agissait pas des siens :

– L’obscurité n’est qu’une lumière que tu ne perçois pas ! Le chemin que tu cherches n’est ténébreux que pour ton œil humain. Pour voir l’insondable il faut cesser d’observer.

Pour le coup, même Corey leva le nez des rovers.

– Père, non… reprit Hateya, et cette fois c’était bien elle qui s’exprimait, mais la différence n’était pas perceptible depuis l’extérieur.

Son équipage reconnaissait son intonation familière. Elle tendit un bras pour retenir quelque chose, le laissa retomber. L’autre voix en elle conclut :

– Tu sais ce que tu dois savoir, maintenant laisse-moi en paix.

Les autres Sourciers qui l’observaient avec stupeur. Même Léa en venait à douter face à la folie soudaine de son amie.

La capitaine avait perdu le contact avec son aïeul. Elle se sentit de nouveau abandonnée, elle avait encore besoin de lui. Après tout c’était le pionner qui avait établit les fondations de la Source, lui qui était parti trop tôt, emportant dans son tombeau le secret de nombreuses planètes ! Elle réfléchissait à haute voix, suffoquant entre chaque phrase qu’elle prononça :

– Une lumière que je ne perçois pas… elle tourna sur elle-même puis s’arrêta. Cesser d’observer… elle ferma de nouveau ses yeux. Non… rien… Peut-être que …

Elle resta silencieuse un instant puis soudain se mit à courir vers le fond de la caverne et disparut dans l’obscurité.

Léa se précipita derrière elle, puis s’arrêta net. Elle décrocha une torche de sa ceinture, l’alluma et la braqua vers la zone ou Hateya avait disparu. La stupeur la coula sur place, l’angoisse aussi. Elle se trouvait face à une voie sans issue, une impasse fermée par la roche.

– Hateya ? ! hurla-t-elle

Aucune réponse. Dans son dos, Oslan s’exclama :

– Ai-je vraiment vu ce que j’ai cru voir ?

– Hateya ?! reprit Léa

Toujours aucune réponse. Corey et Adrien parvinrent à hauteur des jumeaux et firent le même constat : Hateya n’était plus là où elle aurait dû être.

[…]

Adrien voulut se frotter les yeux mais il avait oublié qu’il portait son casque. En d’autre circonstances, son geste lui aurait valu les railleries de ses compagnons. A présent, ils ne le remarquèrent même pas. Il s’approcha de la paroi et tâta la pierre avec ses gants. Elle était telle qu’il l’imaginait : ferme et sans brèche dans laquelle se dissimuler.

– Non, non, et non… Ce n’est pas possible, dit-il à haute voix. Il doit forcément y avoir un truc.

Il appela la capitaine dans l’espoir qu’elle lui dévoile le secret de sa disparition mais n’obtint aucune réponse. Il reprit pour lui-même :

– Bordel de dieu, c’est à l’article de la mort que mes convictions doivent être mise à l’épreuve… Quelle connerie d’humour divin !

Sur ce coup, Corey ne put s’empêcher de se joindre à Adrien :

– Ce qui vient de se produire n’a aucune logique, il faut le reconnaitre !

Oslan et Léa se mirent également à observer la paroi sous tous ses angles, sans plus succès. Il s’écoula une petite minute avant que la voix d’Hateya ne raisonne :

– Et qui a déclaré que l’univers devait être logique ?

Léa sursauta et serra brusquement la main gantée de Corey.

– Capitaine ? C’est vous ? tenta Oslan.

– En chair et en os ! plaisanta-t-elle. Alors Oslan, une réponse ?

– Comment ça ? interrogea-t-il en cherchant désespérément à mettre une forme sur la voix de sa supérieure.

– Qui a déclaré que l’univers devait être logique ?

– C’est l’Homme ! répondit Léa.

La voie d’Hateya reprit :

– Précisément ! Et par quoi est-il limité ?

Oslan, mathématicien dans l’âme, souhaitait ardemment aboutir à une explication. Il vint en aide à sa sœur :

– Par les postulats de ses expériences, je suppose. Notamment que l’univers est défini par des lois immuables et que tu ne peux pas avoir disparu.

Hateya ne put s’empêcher de rire, elle appréciait particulièrement cet instant et voulait cultiver le mystère encore un court moment :

– Et pourtant je ne suis plus là, ou pas …Je suis peut-être les deux à la fois… Où Peut être que ta conception du monde est erronée !

Adrien se joignit à la conversation. Il tenta d’inverser l’interrogatoire, de reprendre en main la situation qui lui échappait et de trouver une explication :

– As-tu repéré une aspérité pour te dissimuler ou un mécanisme dans la paroi ?

– Nous y voilà ! Merci Adrien ! s’exclama Hateya. Le point central de la pensée humaine : ai-je disparu de mon plein gré où est-ce l’on m’a fait disparaitre ? S’agit-il de mon libre arbitre où d’une volonté divine ? Suis-je ou ne suis-je pas ?

Corey reprit la main :

– Tu as couru vers la paroi, donc c’est de ton plein gré !

Léa exprima vivement son désaccord :

– Elle a invoqué son ancêtre, c’est lui qui l’a guidé !

Adrien corrigea la biologiste :

– Non ! “Elle l’a invoqué” requiert qu’elle ait fait l’action, donc c’est son libre arbitre.

Oslan, partagé, décida après quelques secondes de soutenir sa sœur :

– Invoquer demande à croire en quelque chose de supérieur. Quelque chose l’a donc fait disparaitre !

Hateya jubilait :

– Vous approchez tous de la solution ! Maintenant retranchez donc le fait que j’ai disparu au fait que l’on m’a fait disparaitre… Que reste-t-il ?

– Rien ! s’exclama Corey

– Absolument ! Vos conceptions que vous croyez opposées se rejoignent en fait ! Alors suis-je ou ne suis-je pas ?

Hateya se délectait de cet instant et cela s’entendait dans l’euphorie de sa voix.

Oslan hasarda :

– Je suppose que tu veux nous faire comprendre que cette question n’a pas de sens, donc qu’il n’y a pas lieu de la poser !

– Exact ! s’exclama Hateya. Alors rejoins-moi, Oslan !

Elle se tut d’un coup et un silence étrange s’instaura.

Le géologue réfléchit à toute vitesse. Hateya avait filé en direction de la paroi et c’est à cet endroit précis qu’il l’avait perdue, où plutôt que son œil humain l’avait perdue.

– Si je fais exception de la logique, il ne s’agit pas d’un mur de roche ! Enfin, si, c’est un mur sans en être un. C’est notre conception du mur qui nous bloque le passage.

Joignant son geste à la parole, Oslan planta son bras dans la roche et à la surprise de tous, la moitié de son membre fut engloutis par la paroi. Il le déplaça sur la droite, puis sur la gauche, sans ressentir de résistance. De légères ondes s’étaient formées à la surface de la roche et la faisaient osciller sans la briser. L’air ravi, il se précipita entièrement dans la matière et disparu à son tour.

– C’est incroyable ! dit-il. Cette technologie n’est conçue que pour s’ouvrir au contact d’une pensée extra-terrestre. De la même manière que des habitants de cette planète auraient été bloqué face au mécanisme de l’une de nos portes, ma conception du monde me bloquait l’accès à la leur !

Adrien estomaqué laissa de côté son scepticisme et se jeta vers le mur sans réfléchir. Il le traversa.

Corey jeta un coup d’oeil à Léa :

– Si Adrien peut passer, alors nous aussi !

Elle lui sourit et le tira par le poignet. Lorsqu’ils entrèrent en contact avec la roche, celle-ci se mua en une matière souple et sans résistance. Leur vision se troubla lorsqu’ils la traversèrent.

Une fois de l’autre côté, ils retrouvèrent la vue.

Ils mirent un instant avant de comprendre qu’ils étaient allongés sur le sol. Ils avaient pourtant traversé cette paroi à la verticale, ils en étaient certains. Ils se relevèrent, décontenancés, et examinèrent leur nouvel environnement.

Ils étaient à présent dans une pièce hexagonale, le plafond se trouvait à plus de deux mètres au-dessus de leur tête. La même substance qu’ils avaient observé sur la centrale électrique éclairait la scène de son spectre bleu fluorescent. Elle circulait sur toutes les surfaces.

Devant eux, leurs compagnons les attendaient. Hateya avait enlevé sa combinaison. Léa réagit la première :

– Hateya! Tu … Ta protection ?

La capitaine lui sourit et Oslan se plaça devant sa sœur. Il la regarda droit dans les yeux et ôta son casque avant d’inspirer une bouffé du gaz présent dans cette pièce. Paniqué Léa, jeta un œil sur son poignet ; Il affichait une concentration d’azote de soixante dix-huit pour cent, et une concentration d’oxygène de vingt pour cent. En d’autres termes : de l’air ! Le compteur Geiger, mesurant la radioactivité ne s’affolant pas, Léa retira elle aussi sa protection.

Adrien balbutia :

– Comment est-ce possible ? Toi ? Et cette porte ? Et comment et Pourquoi ?

Sous leurs pieds, la roche qui faisait office de porte avait cédé la place à ce qui semblait être un alliage de métaux.

Comme pour se rassurer, Corey y plongea sa main et fut étrangement soulagé de constater que ses doigts passaient toujours au travers, lorsqu’il souhaitait qu’il ne s’agisse plus d’un obstacle. Ainsi, ils pouvaient aller et venir sans contrainte, du moment que leur pensée s’adaptait à cette étrangeté.

Hateya reprit la parole :

– Un système ingénieux de sécurité ou une illusion ? Peu importe, vous trouverez une explication qui vous satisfera plus tard. L’heure n’est pas à la compréhension, mais bien à l’exploration ! Regardez donc !

Elle s’avança vers le mur le plus proche et y posa un pied, puis l’autre. Enfin elle marcha dessus comme si le centre de la terre se trouvait sous ses pieds. Elle les observait maintenant à la verticale, tel qu’elle l’aurait fait en apesanteur, à la différence qu’elle restait bien ancrée sur le mur qui était devenu son sol.

Les sourciers s’amusèrent rapidement de cette singularité, ils se retrouvèrent en quelques minutes à discuter en se regardant chacun d’un point de vue différent.

– Il doit y avoir une autre porte vers une autre salle ! dit Corey, la tête à l’envers par rapport à la capitaine.

– Il y en a même plusieurs ! répondit Léa qui se trouvait sur sa gauche. Là! Au centre de chaque cloison. C’est la même technologie que la première porte !

Elle s’était accroupie et avait plongé sa main à travers la surface, pour étayer ses propos.

La capitaine décida de reprendre les choses en mains :

– Tout ceci ressemble aux alvéoles d’une ruche ! Il faut choisir une direction et s’y fixer, sinon nous risquons rapidement de nous égarer !

Dubitatif, Oslan intervint :

– Et même comme ça, on va se perdre ! A chaque surface la gravité change. C’est donc un labyrinthe où chaque façade est une porte vers une pièce à sept autres surfaces. Ce serait un véritable casse-tête pour s’y retrouver. Par exemple, si nous allons toujours tout droit, nous tournerons en rond.

Hateya réfléchit un instant :

-On procèdera méthodiquement en déposant un objet sur chaque porte franchie. Ici ma combinaison marque la sortie. Et on reste groupés ! ajouta-t-elle, à l’intention d’Adrien, qui avait immergé son buste dans la porte de sa paroi, à la droite d’Hateya.

Son postérieur suspendu décorait étrangement la pièce. La situation était cocasse quel que soit l’angle de vue. Mais quand sa tête refit surface, il était livide. Il bredouilla :

– Venez voir, il y a des statues bizarres de mon côté.

Les sourciers se précipitèrent dans le passage du côté Adrien. Dans la pièce suivante, après s’être relevé, Oslan déposa son gant sur le sol. Et avec le reste de l’équipe, il regarda autour de lui. cette alvéole-ci était bien plus vaste que la précédente. Ses murs étaient recouverts de statues bizarroïdes, agglutinées les unes aux autres.

De couleur sombre, chacune d’elles mesurait deux fois la taille d’un homme. Elles étaient composées de quatre métamères cylindriques de forme et taille variable, chacun surmonté d’une paire de tentacules de plusieurs dizaines de centimètres. Il était difficile de déterminer un côté droit d’un côté gauche et un haut d’un bas.

Corey s’approcha de l’une d’elle et se risqua à la toucher. Son doigt s’enfonça avec une légère résistance, jusqu’à heurter un élément impénétrable puis il déclara :

– Ça ressemble à de la cire ! Mais en dessous il y a autre chose… Plus dur !

Hateya de son côté nota l’étrange ressemblance des statues avec certains arthropodes terriens, ainsi que leur disposition trop ordonnée pour être due au hasard. Elle réagit immédiatement :

– Ne touchez plus ! Ce sont des sépultures !

Corey retira subitement son doigt avec dégout, et un frisson lui parcouru l’échine.

– Qu’est-ce qui te fait dire ça ? demanda Adrien à la capitaine.

– A bien y réfléchir, elles ont les caractéristiques phylogénétiques de la famille des arthropodes, sauf qu’elles sont recouvertes d’une couche protectrice. Ça me fait penser à une sorte de rituel d’embaumement… expliqua Hateya.

– A la bonne heure ! Hier astronaute, aujourd’hui thanatonaute ! ricana Adrien. Quelle évolution de carrière !

Le prospecteur suait à grosses gouttes mais s’efforçait de faire bonne figure. Il cherchait désespérément à camoufler une angoisse soudaine. Corey, surpris par cet hypothèse, se tourna vers Léa :

– Tu trouves ça normal qu’elles soient aussi bien conservées ?

Léa pinça un instant ses lèvres :

– Je l’ignore.

Elle marqua une courte pause, reprit :

– Une étude approfondie pourrait certainement expliquer ce phénomène. En tout cas, c’est une aubaine pour nous qu’ils soient en si bon état, on pourra en apprendre beaucoup sur eux !

Adrien prit la parole pour rappeler l’urgence de la situation :

– Ouais, ou on viendra les rejoindre dans leur sommeil éternel ! Le problème d’oxygène est miraculeusement résolu, mais nous n’avons toujours pas suffisamment de vivres pour attendre l’expédition de secours !

Léa se rembrunit. Corey s’en aperçut et tenta de détendre l’atmosphère en s’adressant à Adrien.

– Tu pourrais aussi te sacrifier pour servir de repas, avec ton embonpoint on aurait de quoi tenir !

Adrien sourit et relança :

– Et l’eau va tomber du ciel pour accompagner ton délicieux steak ?

Il saisit un tentacule de l’une des créatures et s’adressa à la masse inerte :

– Excusez-moi ? Apparemment votre état de santé indique que vous survivez à cette planète hostile depuis des siècles ! Auriez-vous l’amabilité de m’indiquer la présence d’un point d’eau potable pour désaltérer mes compagnons anthropophages ?

La voix d’Hateya mit un terme à la plaisanterie du prospecteur :

– Adrien ça suffit ! Lâche ce membre, ce n’est pas convenable ! On ne profane pas une tombe !

Le prospecteur déglutit devant son autorité naturelle. Elle poursuivit :

– Tâchons de nous concentrer sur la suite de l’exploration, c’est notre seul espoir. On a trouvé de l’air respirable, alors pourquoi pas de l’eau potable ?

Le prospecteur se le tint pour dit. Il avait vu de quoi elle était capable, et il ne parvenait toujours pas à s’en remettre. Il s’avouait quelques peu effrayé par le mysticisme qu’elle dégageait. A cet instant précis, il n’avait pas du tout l’envie de la contrarier.

Les explorateurs retournèrent sur le lieu de l’accident, pour en extraire du rover ce qui pouvait leur être utile. Ils déposèrent leur matériel dans la première alvéole, à l’abri de l’humidité. Ils remirent brièvement leur combinaison pour cela. Ils gravèrent au passage des indications sur la roche pour orienter une éventuelle expédition de sauvetage. Puis ils reprirent l’exploration de la structure alien, le cœur pris en étau entre inquiétude et euphorie. Inquiétude pour leur survie à court terme, euphorie à l’idée de percer peut-être, enfin, les mystères de Terra56.

Ils traversèrent plusieurs alvéoles de tailles variables. Toutes étaient soumises aux mêmes règles étranges de gravité. Certaines contenaient des reliques technologiques qui semblaient défier la compréhension de l’équipage, même d’Hateya et du mécanicien Corey. Elles auraient mérité d’être étudiées en profondeur, mais les sourciers préférèrent cartographier dans un premier temps l’espace dans lequel ils se trouvaient. Il y avait un nombre astronomiques de pièces remplies de dépouilles extra-terrestres. Sans aucun doute, les Sourciers se trouvaient à l’intérieur de l’une de leurs colonies, installée sous la montagne turquoise. L’idée que chaque monticule présent à la surface de Terra 56 soit en fait une ville alien germait peu à peu dans l’esprit d’Hateya.

Oslan gribouillait sommairement un plan lorsqu’il entrait dans une pièce, mais le rendu en deux dimensions d’une telle construction n’était pas évident, et son dessin se perdit rapidement dans un méli-mélo de notes griffonnées entre chaque esquisse.

Finalement l’exploration atteignit le point central de la construction. La taille de la pièce dépassait de loin celle des précédentes, et pouvait se mesurait en millier de mètres carrés. Les Sourciers parvenaient à peine à en apercevoir les parois. De chaque face de la salle jaillissait une masse cuprifère, qui se joignait aux autres au centre de la salle en une arborescence cuivrée. La plante artificielle au reflet brun supportait de nombreuses sphères laiteuses au bout de ses ramifications. Les Sourciers restèrent un instant bouche bée face à une telle structure, les bras ballants, les yeux écarquillés.

– Je crois deviner ce qu’alimente la centrale que l’on a découvert dans la plaine… lâcha Corey dans un souffle.

Ses collègues l’entendirent à peine, toute leur attention focalisés sur les orbes lactescents. Ceux-ci tournaient sur leur axe en un ballet hypnotique. Les Sourciers fascinés s’avancèrent à quelques centimètres de l’une d’elle.

– Qu’est-ce que c’est que ça ? murmura Hateya en l’examinant sous tous ses angles

-Le fruit défendu.. proposa Adrien

Hateya tendit son doigt vers la boule, qui accéléra sa rotation à son approche. Corey s’exclama :

– On ne devrait pas ! Après tout la structure est électrique, on pourrait recevoir une décharge mortelle !

Hateya avait une tout autre intuition, elle se laissa guider par elle et effleura la matière laiteuse. Un éclair en jaillit, foudroyant un à un tous les sourciers réunis autour, dans un claquement terrifiant. Ils basculèrent dans un état semi-conscient.

Une émotion leur parvint en quantité astronomique, traversant chaque atome de matière grise qui les constituait. Ils tremblèrent de tout leurs membres. C’était une peur, une peur indicible. L’angoisse était si forte qu’elle ne pouvait être d’origine humaine, et même à cinq ils ne purent en ressentir la totalité. A ce rush d’émotion succéda une série d’images et de sons. Des bribes des vies des sourciers défilaient à grande vitesse devant leur yeux ébahis. Des images de la Terre, qu’ils avaient été contraints de quitter enfants, des familles qu’ils avaient abandonnées ainsi que de la vie qui fourmillait encore à l’époque sur la planète bleue. Chacun recevait l’expérience des autres avec autant d’intensité que s’il s’était agi de sa propre vie.

Tous vécurent la naissance des jumeaux et leur relation fusionnelle. Puis vint le tour des souvenirs de Corey, et en particulier de son adolescence à la sexualité tardive qui l’avait plongé dans un univers geek. Il en avait tiré une capacité extraordinaire de concentration, qui expliquait ses talents de mécano, et une paradoxale empathie. Le parcours d’Adrien avait été semé d’embuches. Des parents violents l’avaient contraint à grandir prématurément. La rudesse de sa vie lui avait forgé un caractère d’acier, mais il gardait un coeur sensible sous son armure.

Hateya avait quant à elle suivit les traces d’un père omniprésent. Sa stature de pionnier et sa célébrité plaçait sa fille dans l’ombre de ses actions. Elle avait redoublé d’efforts pour pouvoir exister à côté de lui.

Les Sourciers ressentirent l’atroce souffrance d’Hateya, lorsqu’on lui apprit que son père avait disparu en mission. Lorsque son corps n’avait jamais été retrouvé, malgré de multiples tentatives. Ils comprirent alors l’état de deuil permanent qui sous-tendait le caractère de leur capitaine, et sa nécessité de se plonger dans la méditation chamanique comme remède à l’abandon.

Une ultime vision leur montra leur arrivée commune sur la planète turquoise.

Le film de leur vie se dissipa et ils ressentirent un instant de désarroi. Leur intimité venait de leur être arrachée, partagée entre eux tous. Ils étaient comme nus, les uns en face des autres. On venait de les ausculter dans les moindres détails, de les dépouiller de tous leurs secrets. Cet orbe étrange s’était nourri de leur vécu.

Ils n’eurent pas le temps de reprendre leur esprits qu’une deuxième vague de souvenirs les submergea. Cette fois-ci il s’agissait d’un don, un savoir qui leur était offert en retour.

Ce n’étaient plus eux qu’ils voyaient, c’était les autres. Les aliens, non pas sous leur forme de dépouille, mais majestueusement déployés sur leurs huit tentacules. Leurs corps composés de quatre fragments chitineux se déplaçait avec fluidité à travers une sombre forêt riche et féconde. Ils n’étaient ni sur la planète Bleue, ni sur la planète Turquoise. Au sol s’étalait un marécage et une végétation dense masquait le ciel. La luminosité qui traversait l’épaisse jungle était si faible que l’évolution n’avait pas jugé utile d’équiper les êtres de cette planète du sens visuel.

Plus étonnant encore, la planète elle-même était liée par la végétation à plusieurs satellites de taille nettement plus petite. Ce phénomène expliquait la résistance innée des créatures la peuplant à des conditions de vie extrêmes, ainsi que leur faculté à se mouvoir dans un milieu à la gravité changeante.

Les extra-terrestres n’étaient que pure sensation. La totalité de leurs cellules étaient munies d’un système de transmission d’information. Tout leur être était dédié au développement de l’intelligence, et à sa conservation. Dominant leur planète, ils avaient développé une multitude de technologies servant à prolonger leur longévité. Ils vivaient, semblait-il, en harmonie avec leur environnement. Ils étaient une espèce de charognard aquatique, se gorgeant d’eau et digérant les éléments qui s’y trouvaient. Ils semblaient cultiver des plantes dans des bassins pour enrichir leur eau avant de la consommer.

Puis apparut l’image d’une explosion de supernova à quelques années lumières de leur système solaire.

Les Sourciers observèrent le rayonnement gamma traverser l’espace-temps.

Le vent de mort vint percuter de plein fouet la planète des moissonneurs d’eau. Contrainte de quitter sa Terre, la civilisation alien erra dans l’espace à la recherche d’un nouvel habitat, jusqu’à ce que leurs vaisseaux trouvent la planète turquoise. Terra 56 était encore riche en végétation alors, et pourvue d’un immense océan sous sa croûte. Les moissonneurs y installèrent des colonies et s’abreuvèrent de l’eau qui s’y trouvait. Ils semblaient avoir trouvé un équilibre. Mais une nouvelle peur envahit les Sourciers, accompagnée cette fois d’une douleur terrible. La douleur des créatures agonisant sous l’effet du poison de l’eau. Malades, déjà condamnés pour la plupart, ils s’afféraient à construire une ultime machine, pour purifier l’eau.

Utilisant le geyser géant comme engin tremplin à la terraformation, ils tentèrent de canaliser l’eau dans un système de filtrage. Le poison fut plus rapide que leur génie. Les Sourciers observèrent les cultivateurs d’eau se recroqueviller un à un, éliminant l’eau dans la mort par une sudation extrême. Aucun d’entre eux ne survécut. Les visions se dissipèrent et les sourciers retournèrent brutalement à la réalité.

Corey frissonna :

– C’était morbide !

– Surtout le passage sur ton premier baiser ! plaisanta Adrien, pour tenter de dissiper leur malaise. J’ai tout ressenti au moment où elle t’a ravagé la dentition ! Je comprends pourquoi t’es mal à l’aise avec les femmes !

Léa s’interposa :

– Eh bien moi j’ai trouvé ça plutôt mignon, et il n’a aucun problème avec les femmes !

-Ne te vexe pas, tu en sais autant sur moi maintenant que l’inverse ! rétorqua Adrien, qui avait en tête le souvenir douloureux de ses parents.

Hateya l’avait bien vu, et même ressentit au moment où la relique mémorielle l’avait révélé. Elle éprouvait maintenant une certaine compassion envers le prospecteur. Mais elle préféra ne pas s’attarder. Elle avait l’étrange sensation de ne pas avoir résolu toute l’énigme de Terra 56.

– J’ai une impression d’insatisfaction, marmonna-t-elle. Cette histoire des aliens, ce récit tragique… quelque chose cloche là-dedans, vous ne trouvez pas ?

Adrien refoula de son mieux ses souvenirs, s’efforça de redevenir pragmatique :

– Ce que je vois moi, c’est que dans leur grande bonté, ils nous ont laissé une machine pour filtrer cette eau impropre. Et si nous parvenons à la mettre en état de marche, nous survivrons, jusqu’à l’arrivée des secours !

– Je ne vois pas ce qui cloche ! intervint Corey pour répondre à la capitaine. A quoi penses-tu ?

– Après tout ce qu’on a traversé pour arriver là, je trouve cette histoire… Comment dire… Trop humaine. Ils sont si différents de nous, et pourtant ce scénario sur leur disparition semble tout droit sorti de l’imagination d’un homme. Je trouve ça plutôt curieux, un peu comme si c’était à partir de notre propre expérience qu’on avait conçu cette histoire.

Adrien haussa les épaules :

– Tu es une éternelle insatisfaite! Moi je trouve cette suite d’évènements plutôt logique.

Oslan n’avait pas dit un mot depuis les révélations de l’orbe. Léa s’en inquiéta soudain :

– Osly ? tu vas bien ?

– Hum, oui c’est juste que j’étais en train de réfléchir… Je ne crois pas qu’ils soient morts…En tout cas pas complètement…

– Explique-toi ! le pressa Hateya.

Il se tourna vers sa soeur.

– He bien, tu te souviens, Léa, lorsque tu m’as parler des oursons d’eau ?

La biologiste s’illumina.

– Mais oui c’est ça ! La cryptobiose !

Devant le regard interrogateur d’Hateya, elle traduisit en langage profane :

– Tout comme l’aurait fait un ourson d’eau, ils se sont vidés dans un premier temps de l’eau de leur corps, et l’ont remplacé par une forme de glucose conservateur. Puis ils se sont recouverts d’un tonnelet protecteur ! La couche de cire ! dit-elle en montrant le doigt de Corey. Leur métabolisme s’est mis à l’arrêt, les rendant presque immortels. Dans un état de mort passager jusqu’à ce que les conditions redeviennent favorables à leur vie !

Adrien s’empara de l’occasion, prit d’un éclair de lucidité :

– Et on a de l’eau potable dans ce qui subsiste du rover ! Moi je la vois la solution à tous nos problèmes ! On utilise le reste de notre réserve pour ranimer un de ces cerveaux à 8 pattes. Ainsi il répare sa machine, et sauve les siens de l’extinction. Qui plus est, il nous fournit de l’eau potable. C’est un bon début pour une première relation inter-espèces, non ?

L’argument semblait imparable. Tous les Sourciers l’approuvèrent. Sauf Hateya. Mais elle n’avait que son instinct pour elle. Alors, en dépit de ses réticences, elle accepta de tenter l’expérience. Après tout, elle n’avait pas d’autre solution à proposer.

Les Sourciers retournèrent donc dans la première alvéole et déplacèrent leur dernière cuve d’eau dans la pièce qu’ils avaient initialement identifiée comme un cimetière. Ils remplirent une gourde d’eau par personne, par précaution.

Il s’emparèrent ensuite d’un aqua-récolteur choisi au hasard. Ils n’étaient pas trop de cinq pour cette tâche car le poids de la créature dépassait largement celui de leur cuve. Ils la hissèrent dedans, sans vraiment savoir dans quel sens l’y déposer. Eût égard au peu d’informations dont ils disposaient, ils avançaient à tâtons dans cette expérience rocambolesque.

Ceci fait ils restèrent un instant à se regarder mutuellement, s’interrogeant sur ce qui pouvait apparaître comme un coup de folie. Puis Corey prit la parole :

– Et maintenant ?

– Ben… On patiente et on croise les doigts ! répondit Léa.

Adrien angoissait à nouveau :

– Et on fait quoi s’il se réveille ? Pour éviter tout geste hostile ? Je lui tends mon tentacule ?

Tous avaient les nerfs à fleur de peau. Corey rétorqua, pour détendre l’atmosphère :

– C’est sûr qu’avec ça tu ne vas pas le vexer ! C’est de loin toi qui possède le plus petit !

Le visage d’Adrien se fendit d’un sourire laissant apparaitre ses dents, puis il explosa de rire. Il posa sa main sur l’épaule de Corey et s’adressa sincèrement à lui, tout en reprenant son souffle :

– Tu vas me manquer si tu ne t’en sors pas, tu sais ?

– Dans les histoires c’est toujours le plus cupide qui meurt le premier, tu sais ?

– C’est la vraie différence avec le monde ré…

Adrien n’eu pas le temps de terminer sa phrase. La cuve éclata et en un instant la créature se déploya sur toute sa hauteur au centre de la pièce. Elle tourna sur elle-même et déroula ses tentacules, en un geste lourd de menaces. Elle tendit trois de ses membres vers Hateya, tout en redressant le dernier segment de son corps. Ses abattis vibrèrent énergiquement.

Hateya était tétanisée. Elle n’aurait jamais imaginé une rencontre de la sorte. Retenant son souffle, elle s’efforça de rester immobile, alors que les membres de l’alien effleurèrent sa peau. Soudain un éclair de souffrance lui transperça le corps. Un tentacule empoisonné. Elle s’effondra au sol en poussant un cri terrifiant.

La créature se redressa et partit à une vitesse folle par la porte située au plafond. En ignorant complètement le reste de l’équipe. Les Sourciers, tétanisés, ne songèrent même pas à la suivre, ni à aider leur capitaine, tordue de douleur près de la cuve brisée.

Agonisante, Hateya retrouva l’espace, la bulle psychique où son père l’attendait. Tout y était plus clair qu’auparavant. Autour d’elle, des éléments familiers de sa vie, une maison, une balançoire, un arbre fruitier… Autant de souvenirs qui l’avaient aidée à se construire, qui avait modelé celle qu’elle était devenue. Et surtout, au milieu de ce paysage, son père l’attendait, séparé d’elle par un fleuve au courant anormalement calme.

La voix de son père raisonna :

– Son flux est perturbé ! Il doit reprendre son cours, aide-le, ma chère fille !

Hateya lui répondit :

– Père ! Pourquoi être parti si tôt ? Pourquoi m’as-tu abandonné ? J’ai besoin de réponses !

Il était temps qu’elle reçoive des explications, enfin… Son père s’exprima à nouveau, le visage grave :

– J’ai toujours été avec toi, ma fille bien aimée. Pas sous la forme que tu espérais certes, mais jamais je ne t’ai abandonnée. J’étais là, derrière chacun de tes pas, jusque sur cette planète, je t’ai aidée à appréhender cette technologie inconnue. Et c’est là ma plus grande erreur ! Tu as toujours agi pour me ressembler, car je n’ai pas su m’effacer à temps pour te laisser la place qui te revient. Il te reste encore un peu de temps. Je t’en conjure, utilise-le pour toi, pas pour poursuivre une chimère.

Hateya ne tenta même pas d’essuyer ses larmes.

– Père ! J’ai peur, je ne veux plus être seule !

– Va ma fille, tes amis t’attendent. Tu ne seras jamais seule.

La voix de son père se fit de plus en plus lointaine. Hateya ouvrit péniblement les yeux. Adrien à son chevet l’aida à se rasseoir :

– Capitaine ? Est-ce que ça va ?

Hateya se serra contre le torse du prospecteur. Elle avait besoin de réconfort et elle le trouva dans ses bras. Elle souffrait du contrecoup de l’assaut de l’alien, mais plus important encore, elle avait saisi une chose essentielle. Ces moissonneurs d’eau avaient rompu l’équilibre naturel en s’octroyant bien plus de temps qu’il ne leur avait été alloué. Elle venait de faire le lien entre tous les évènements récents sur Terra56.

Décidée à intervenir, elle murmura à Adrien :

– Il faut rétablir l’équilibre. L’alien doit être arrêté.

– Explique-toi, Hateya, supplia Adrien qui se sentait atrocement coupable.

– Ces créatures se nourrissent de la vie… elles la digèrent dans l’eau… Les enzymes de désaminases… Ce sont elles… Détruire la vie leur fourni l’énergie pour prospérer. Elles ont moissonné leur planète d’origine, et tant d’autres encore…

– Mais comment ? Pourquoi sont-elles prisonnières de celle-ci ?

– La saponine ! C’est le dernier présent des formes de vie de Terra56. A l’arrivée de ces envahisseurs, Terra56 a sécrété la saponine en masse dans l’eau de sa propre planète. Elle a mis un terme à la moisson alien mais n’a pas survécu à son propre poison. La vie de cette planète s’est sacrifiée pour celle des autres, pour nous !

Ereintée, rongée par le poison de l’alien, elle dut s’arrêter pour reprendre son souffle, puis se força à poursuivre:

-Stoppe-la Adrien, elle va activer la machine …

Elle ferma les yeux et respira profondément pour se donner du courage. Dans un sursaut de rage, Adrien enfila sa combinaison et sortit en trombe vers la caverne, suivi de près par Corey et Oslan. Léa resta en arrière pour veiller sur Hateya.

Sur le seuil de la caverne, Oslan enfin rattrapa le prospecteur :

– Ou parts-tu, Adrien ? Tu as entendu Hateya, il faut arrêter l’alien !

Adrien se dégagea sans répondre, entra dans le blindé et ressortit avec deux fusils automatiques. Il en en jeta un dans les bras de Corey.

– Dépêchons nous ! Il faut mettre un terme à cette folie !

Oslan se réfugia dans le laboratoire du blindé. Sans l’attendre, Adrien et Corey se précipitèrent dans les alvéoles à la poursuite de l’alien. Ils croisèrent Léa au chevet d’Hateya.

– On suit les empreintes d’eau ! déclara Adrien en pointant du doigt les flaques laissées par l’extra-terrestre. Prends soin d’elle ! ajouta-t-il en dépassant Léa.

Les deux comparses s’engouffrèrent dans le labyrinthe, et ils ne tardèrent pas à retrouver la créature afférée sur sa machine à Terra-former.

Adrien ne se posa pas de question, il pointa l’arme dans sa direction et déchaîna l’enfer. Le bruit caractéristique de la rafale raisonna dans la pièce. L’insecte géant ne réagit même pas à l’agression.

– Tu l’as manqué ! dit Corey

– Certainement pas ! Mais ça lui a fait aucun effet !

Décidé à ne pas se décourager, Adrien s’approcha de la créature qui s’intéressait nullement à leur présence. Il avait l’impression d’être un microbe à ses côtés. Jamais il n’aurait imaginé être un jour dédaigné par un insecte. Son canon touchant presque la carapace, il déclencha une nouvelle rafale. Des morceaux de chitine volèrent en éclat sous l’impact des projectiles. Mais pas plus qu’avant, la créature ne réagit à l’agression. Elle continua à travailler sur la machine.

Pendant qu’Adrien faisait diversion, Corey marcha sur le mur le plus proche jusqu’à à atteindre le plafond. Et lorsqu’il tira, lui, il visa la machine.

Le métal se tordit et se craquela sous ses tirs. Cette fois l’alien tourna la tête, avec un sifflement. En un instant, il fondit sur le mécanicien. L’impact projeta Corey contre le sol. Il poussa un hurlement de douleur lorsque ses os se broyèrent dans un craquement effroyable. Et il sombra dans l’inconscience.

– Noonnn ! hurla Adrien. Saloperie de soupière à pattes !

Il épaula la crosse de sa mitraillette et pressa la détente. Deux coups partirent vers la machine avant que le chargeur ne soit vide. Adrien eut à peine le temps de jurer avant que l’alien ne se retourne contre lui.

Ses tentacules vibrèrent et se déployèrent vers le prospecteur. D’un geste réflexe, Adrien en esquiva une. Il bloqua le deuxième assaut en brandissant son arme comme bouclier. Mais il ne vit pas arriver les tentacules qui lui fauchèrent les jambes. La créature s’était brusquement pliée en deux, joignant avec souplesse les segments de ses extrémités. Adrien tenta de se redresser, en vain. La rapidité de la créature le surprit une dernière fois. Il n’opposa aucune résistance, ses yeux se fermèrent après un deuxième coup en plein sternum.

– Adrien !

Corey avait repris connaissance, blême et tremblant. Il voulut appeler le prospecteur, mais sa voix ne portait pas autant qu’il l’avait espéré.

– Silence Corey, ne te fait pas remarquer, souffla Hateya.

Corey tressaillit. Oslan, Léa et la capitaine l’avait rejoint en rampant, les jumeaux traînant presque la capitaine. Hateya était mal en point et dégageait une odeur d’ammoniaque. Le poison continuait son œuvre, mais au moins la capitaine semblait avoir recouvré toute sa lucidité. Oslan adressa à Corey un sourire sinistre :

– J’ai un cocktail bien corsé pour fêter notre premier contact, murmura-t-il en montrant un sachet de liquide turquoise. J’ai synthétisé la saponine de Terra56!

– Et comment comptes-tu lui faire ingérer ? demanda Corey entre ses dents.

– Attend de voir comment la machine fonctionne, on trouvera un moyen de le déverser dedans.

Si la créature les avait repérés, elle n’avait que faire de leur présence. A nouveau, elle n’en avait que pour sa machine. Une aubaine pour les Sourciers.

Les jumeaux en profitèrent pour porter Adrien en lieu sûr. Ce dernier respirait encore mais ses chances de survie étaient extrêmement faibles.

Corey quant à lui demeurait immobile. Il n’avait pas trop envie d’analyser son état, mais il avait sans doute la colonne vertébrale brisée.

Après une attente difficile, la créature sembla parvenir à ses fins. le ronronnement d’un moteur emplit l’air et un léger filet de liquide coula d’un tube en cuivre vers une petite fosse. La machine semblait pomper l’eau du sol pour la filtrer et en extraire la saponine. La créature était loin d’avoir achevé le système complet de filtration, mais le ruisselet lui permettrait déjà de survivre et probablement de réveiller quelques-uns des siens. Elle s’immergea dans la flaque qu’elle avait réussi à purifier.

– C’est notre chance ! murmura Hateya, qui claquait des dents.

Elle sentait le venin de la créature engourdir peu à peu ses membres et déchirer ses entrailles.

– Et comment on l’approche ? interrogea Léa.

Hateya pris pour la première fois une décision que son père n’aurait jamais approuvée :

– Je m’en charge ! dit-elle. Oslan, occupe-toi de verser le savon dans son bassin !

La capitaine récupéra l’arme à côté du prospecteur inconscient, la rechargea avec des munitions qu’elle gardaient dans sa ceinture. Elle se traîna suffisamment loin de son équipe pour mettre son plan à exécution et visa la machine.

Léa comprit que trop tard l’intention d’Hateya, elle hurla en vain. Avec un sifflement furieux, la créature quitta son bain pour venir terrasser la chef de l’expédition. Oslan se précipita pour déverser le contenu de saponine dans l’eau.

En se servant de la mitraillette comme béquille, Hateya se redressa pour faire face à la bête dont les tentacules se mirent à vibrer. D’un coin de l’œil, elle vit Oslan réussir sa mission. Elle sourit, ils avaient de l’air, de l’eau et maintenant suffisamment de vivres pour un groupe restreint. Le mystère de Terra56 était résolu et sa mission accomplie. Elle pouvait partir en paix. Elle ne sentit même pas l’attaque de la créature, sa vue s’obstrua et elle s’écroula.

Bientôt, le nom d’Adrien Sorbier figurera parmi les récits héroïques de l’histoire de l’humanité.

Bientôt Corey récupèrera de ses blessures et reprendra avec Léa et Oslan la mission des sourciers.

Bientôt une colonie humaine viendra s’installer sur cette planète, pour faire pousser les plantes qui y vivaient dans le temps et des enfants joueront dans la plaine turquoise.

Bientôt l’océan souterrain de Terrea56 retrouvera sa splendeur d’origine et la vie émergera de ses profondeurs.

Bercée par les flots de l’eau, Hateya regagna sans difficulté le chemin vers le fleuve où elle avait déjà trouvé refuge. Là où son aïeul l’attendait de l’autre côté du cours d’eau. Adrien se trouvait sur le même rivage qu’elle. Il lui tendit la main, l’invitant à traverser.

Elle patienta un instant pour écouter le gémissement lointain d’une créature agonisante puis s’accorda une ultime pensée :

– Destruction et Création… Deux rives d’un même fleuve.

Elle sourit et saisit sans crainte la main tendue de son compagnon.

Le fleuve reprit son intense et éternelle activité.

FIN

Lire les ateliers d’écriture

La Signature de l’eau, version bleue

La Signature de l’eau, version bleue

La Signature de l'eau, version bleuePoint protocole : Pour continuer la nouvelle, envoyez-nous votre suite à l’adresse explornova.uni@gmail.com (c’est le plus simple) ou directement en commentaire sous les posts. Maintenant que la nouvelle prend de l’ampleur,...

L’expérience – le protocole

L’expérience – le protocole

L'expérience et le protocoleIci commence notre expérience. Ici, nous nous racontons des histoires. Des histoires de science, des histoires tout court.  Notre magasin de récits vous paraîtra peut-être éclectique, voire même étrange, allez savoir… Cette visite guidée,...

La Signature de l’eau, version rouge

La Signature de l’eau, version rouge

Version rouge La signature de l'eau intégralement écrite par YahikoLa signature de l'eau - version rouge complète Yahiko alias Orson Wilmer Le vaisseau des Sourciers s’était posé deux jours plus tôt sur Nova Terra 56, dans une plaine de poussière turquoise, baignée...

Créons une planète ensemble !

Créons une planète ensemble !

Créons une planète ensemble !CI CONTRE ET Atelier ayant eu lieu entre le 18 septembre et le 1 Novembre 2017 et dirigé par Estelle Faye dans le cadre de l’expérience « La Terre, un scénario original ? » Bonjour à tous ! Dans cet atelier d’écriture un  peu  particulier,...

Version de Franck Mars

Version de Franck Mars

Version de Franck MarsLa signature de l’eau par franck Mars  La signature de l’eau Franck Mars         Le vaisseau des Sourciers s’était posé deux jours plus tôt sur Nova Terra 56, dans une plaine de poussière turquoise, baignée par la lumière aux reflets grenat de...

La signature de l’eau, version saponaire 3.1

La signature de l’eau, version saponaire 3.1

La signature de l’eau, version saponaire 3.1  Proposition de Jonathan Canestro , poursuivie par le même auteur.  Le vaisseau des Sourciers s’était posé deux jours plus tôt sur Nova Terra 56, dans une plaine de poussière turquoise, baignée par la lumière aux...

Une branche de plus pour la version rouge : la version rouge 4.2

Une branche de plus pour la version rouge : la version rouge 4.2

Une branche de plus pour la version rouge : la version rouge 4.2Proposition de Yahiko, alias Olson Wilmer, puis fin de Morgane Marchand, après les … – Morgane Marchand a continué la version rouge 3.1  — ——   Le vaisseau des Sourciers s’était posé deux jours...

Une branche de plus pour la version bleue : la version 6.1

Une branche de plus pour la version bleue : la version 6.1

Une branche de plus pour la version bleue : la version 6.1. Proposition de Mélody Gervais, puis proposition d’O’Scaryne, puis trois propositions de Noémie Buffet, puis une proposition de Chloé Hanania  Le vaisseau des Sourciers s’était posé deux jours plus tôt...

Une nouvelle branche pour la nouvelle initiale, enfin…

Une nouvelle branche pour la nouvelle initiale, enfin…

Une nouvelle branche pour la nouvelle initiale, enfin.... Régis Tytgat ajoute une proposition au tout premier tronçon de nouvelle… .   Le vaisseau des Sourciers s’était posé deux jours plus tôt sur Nova Terra 56, dans une plaine de poussière turquoise, baignée...

Version bleue

Version bleue

La version bleue  . Proposition de Mélody Gervais, puis proposition d’O’Scaryne, puis quatre propositions de Noëmie Buffet .     Le vaisseau des Sourciers s’était posé deux jours plus tôt sur Nova Terra 56, dans une plaine de poussière turquoise, baignée par...