Atelier d'écriture

La signature de l’eau, version saponaire 3.1

 

Proposition de Jonathan Canestro , poursuivie par le même auteur.

 

Le vaisseau des Sourciers s’était posé deux jours plus tôt sur Nova Terra 56, dans une plaine de poussière turquoise, baignée par la lumière aux reflets grenat de l’étoile proche, et barrée au loin par une ligne de sommets dentelés, une chaîne de montagnes sans doute très jeunes. Sur certains des pics, une calotte blanche étincelait dans la lueur rose. Des glaciers ?  Difficile de dire à cette distance. En tout cas il y avait de l’eau sur Terra 56. C’était la raison principale de la présence des Sourciers. Les capteurs du vaisseau avaient détecté la signature de l’eau depuis l’espace, dans le spectre lumineux de la planète. D’une manière générale, Terra 56 présentait des conditions quasi idéales pour fonder une nouvelle Terre. Elle était à la même distance de son étoile que la Première Terre de son Soleil. Elle était un peu plus grosse que la Première Terre, la gravité y était donc plus forte, et l’air était plus chargé en dioxyde de carbone, mais rien que des combinaisons adaptées ne puissent compenser. Et il y avait du mouvement à la surface de la planète. Etait-ce des éruptions volcaniques, des vents violents balayant un paysage désert, des pluies ou des orages peut-être ? Ou bien était-ce autre chose, davantage… ? Y avait-il de la vie sur Terra 56 ?

Hateya Somari, la capitaine de l’expédition, une femme âgée tannée par des années d’expéditions spatiales, avait appris à ne plus l’espérer. Depuis des siècles que l’humanité s’était lancée à la conquête du cosmos, on n’avait pas trouvé la moindre trace d’existence extraterrestre, pas même une bactérie. L’homme se résolvait peu à peu à être seul dans l’univers. Et pourtant… Pourtant Hateya avait eu un pressentiment étrange, en apercevant pour la première fois l’horizon de Terra 56 par la baie vitrée de la dunette, ses deux lunes et son jour aux couleurs de crépuscule. L’équipage avait appris à se fier aux intuitions de sa capitaine. Certains murmuraient qu’elle avait des dons chamaniques, hérités de lointains ancêtres sioux, des indiens de la Première Terre. Plus simplement, Hateya avait un bon instinct, aiguisé par des décennies d’observation et d’exploration spatiale. Et cette planète… Aucune exoplanète n’était semblable à une autre, bien sûr, mais Terra 56 avait quelque chose de plus encore. Quelque chose de radicalement différent.

Le lendemain de l’atterrissage, l’équipage avait lancé la première expédition sur le sol, à bord de véhicules tout-terrain, en emportant de l’eau et des rations pour une semaine. Ils étaient partis en équipe réduite, Hateya bien sûr, puis Corey, le mécanicien du bord, un quadra aux cheveux vert vif, aux allures d’éternel adolescent, mais qui était capable de réparer n’importe quelle machine avec quasiment rien même au milieu d’une tempête de sable. A ceux-là s’ajoutaient deux ingénieurs, Léa et Oslan, deux jumeaux, une biologiste et un géologue, tous deux blonds et pâles, qui vivaient dans leur propre monde et se comprenaient presque sans parole. Et enfin Adrien Sorbier, un prospecteur au service des Compagnies Minières, le consortium privé qui finançait en partie l’expédition.

Au deuxième jour sur Terra 56, le petit groupe arriva au bord d’un ruisseau, à peine un filet d’eau qui serpentait dans la plaine turquoise. La chaîne de montagne s’était quelque peu rapprochée, et en pointant ses jumelles vers elle, Hateya aperçut comme des ombres sur certaines de ses pentes. De la végétation ?  Plus probablement un caprice de la roche… La capitaine balaya l’horizon du regard. Les volutes de poussière masquaient une partie de la plaine. Agenouillés près du ruisseau, microscope en main, Léa et Oslan analysaient la composition de l’eau. Soudain Léa poussa une exclamation.

Oslan se précipita pour relever sa sœur qui venait de glisser. La roche turquoise s’était désagrégée sous son pied droit qui s’était alors enfoncé dans le ruisseau. Léa, d’un geste réflexe, essuya ses gants tachés de boue sur le bas de sa combinaison.

Hateya s’approcha à son tour de Léa. Après s’être assuré qu’elle ne souffrait pas de sa chute, elle entreprit de contrôler l’étanchéité de la combinaison de la biologiste. Par chance, celle-ci ne semblait pas avoir subi de dommage.  Les constantes affichées sur son poignet étaient tout à fait normales.

Pour plus de sécurité, Hateya demanda à Léa de bouger la jambe pour vérifier le fonctionnement de l’exosquelette. Pendant ce temps, Oslan se pencha pour examiner les salissures qui souillaient le blanc de la combinaison. La tête légèrement inclinée, il réfléchit un cours instant puis tendit lentement sa main et frotta son doigt ganté sur la cuisse de Léa, à l’endroit même où elle s’était essuyée.

Le frottement fit apparaître une mousse semblable à celle du savon blanc qu’ils utilisaient à bord du vaisseau, à la différence près que celle-ci était turquoise.

Hateya ne put s’empêcher de remarquer le sourire espiègle que Léa adressa à son frère.

Léa se dirigea vers le ruisseau puis s’accroupit en prenant soin de ne pas riper de nouveau. Elle plongea ses gants dans l’eau puis frictionna ses mains l’une contre l’autre produisant à nouveau de la mousse en plus grande quantité. Elle disposa ses pouces et ses index en opposition afin de former une membrane circulaire, composée de cette étrange mousse. D’un geste souple, elle matérialisa une magnifique bulle translucide aux reflets turquoise.

Tous observèrent un instant ce prisme s’élever lentement sous l’action du vent. Il diffracta un instant la lumière de l’étoile grenat de Terra 56, offrant un incroyable arc-en-ciel aux explorateurs.

L’index d’Adrien fendit l’air et mit un terme à cet instant féerique. La bulle de désagrégea en millier de fines gouttelettes. Fier de son action, il brisa également le silence qui s’était instauré.

— C’est bien beau tout ça mais faudrait peut-être penser à poursuivre la mission, on n’est pas payé à faire des bulles !

— Tu ne peux pas t’empêcher de détruire ce que tu touches, bougre d’idiot, s’exclama Corey, en lui claquant amicalement sa main sur l’épaule.

— Création et Destruction… Tout comme Plaisir et Tristesse, Jour et Nuit, Vie et Mort… Ils nous habitent alternativement –  Hateya marqua une courte pause puis repris à l’attention de Corey – Considère-les comme les deux rives d’un fleuve qui coule dans le même sens.

Ses paroles plongèrent le groupe dans un silence méditatif, qui permit à tous les explorateurs de prendre conscience de l’ensemble des événements qui venaient de se dérouler.

Seule Hateya détenait cette science secrète des mots qui avait le pouvoir d’altérer le cours des événements. De nouveau au centre de l’attention, comme l’exigeait sa position de capitaine, elle lança ses instructions.

— Oslan,  prélève un échantillon de cette roche turquoise, et un de cette eau.

Elle avait compris dès l’apparition de la bulle que les jumeaux avaient découvert une forme de saponine, qui s’était libéré de la roche après la chute de Léa. Sur Terre, c’était une substance amphiphiles produite par certains végétaux ou animaux. Il s’agissait d’une découverte extraordinaire, peut-être une preuve que la vie avait existé sur Terra 56. Hateya préféra ne pas s’extasier, et rester prudente quant à ses hypothèses. Elle poursuivit ses directives :

— Adrien, déploie les sas de décontamination à l’arrière des Rovers, et aide Léa à nettoyer sa combinaison.  Je ne veux pas prendre le risque de contaminer l’habitacle.

Elle se tourna ensuite vers le mécanicien à la crinière verte :

— Corey, je te charge de transmettre un premier bilan de l’expédition à la station, confirmes la présence d’eau mais ne t’attardes pas sur les premiers échantillons. Dis-leur simplement que nous débutons les analysent.

Sans perdre un instant, l’équipage s’affaira aux missions données par la capitaine. Pendant ce temps, Hateya observait les volutes de poussières. A plusieurs reprises, elle crut apercevoir de grandes formes sombres et longilignes, percer les nuages de poussières. S’agissait-il d’une illusion d’optique ? Elle voulait en avoir le cœur net. Il ne lui fallut pas longtemps pour prendre sa décision. La prochaine étape de l’expédition les amènerait derrière le rideau de poussière…

Les deux Rovers des Sourciers traversaient la lande rocailleuse de Terra 56 et filaient à vive allure en direction de la tempête. Corey pilotait le Rover de tête, il transportait la capitaine et le prospecteur. C’était un véhicule blindé multifonctions, dont l’armement lourd trahissait l’origine militaire. D’abord utilisé sur les fronts de Mars pendant le conflit qui avait opposé les colons de Mars à ceux de Titan, il avait été réformé pour laisser place à de nouveaux modèles plus performants. Il avait ensuite été racheté par le conglomérat des industries minière. Le secteur industriel tenait à protéger ses ressources à travers les colonies, les attaques de pirates étaient devenues monnaie courante et l’armée n’avait pas les moyens de se déployer à travers l’immensité de l’espace. Le second rover, lui était un pur produit de la Source, l’organisation scientifique à l’origine des Sourciers, chargée par l’état de découvrir des mondes dont les conditions n’étaient pas trop hostiles à l’installation de colonies. C’était un petit bijou de technologie, un laboratoire ambulant. A son bord se trouvait les deux jumeaux, autour d’un jeu d’échec virtuel et sphérique. Le véhicule était en pilote automatique et suivait celui de tête.

— Gagné ! jubila Léa.

L’échiquier virtuel séparant les deux jumeaux disparut. A ce place se dessina le visage de Léa couronné et cerclé de feu d’artifices.

Oslan rumina quelques secondes sa défaite, puis relança la partie en défiant sa sœur du regard. Il déplaça un pion avant de se replonger dans l’analyse de sa roche. Ils aimaient toujours jouer en travaillant et Hateya  ne leur en tenait pas rigueur. Elle-même ne trouvait la concentration qu’après avoir renoncer à penser à ce qu’elle désirait, puis avoir cessé de cogiter au fait qu’elle venait d’y renoncer.

L’humeur joyeuse des jumeaux se répercutait à travers les systèmes radios et la voix d’Adrien raisonna à son tour :

— On dirait bien que les Skywalker s’égarent encore !

— T’as entendu ce hurlement, Léa ? répliqua Oslan. Je t’avais bien dit que Chewbacca était à bord !

Les cinq équipiers rirent de bon cœur. Puis Oslan reprit, plus sérieusement, en lisant ses notes :

— Ok, voilà un petit compte-rendu de mes analyses. Pigmentation turquoise, dureté 6.5 sur l’échelle de Mohs, densité 2.9. Traces de fer, Calcium, Rubidium, Césium, Sodium, Silicium, Oxygène et bien sûr de l’eau. Il s’agit sans aucun doute d’une zéolite de type Pollucite.

— Un peu de Césium… La demande est forte mais les réserves sont largement suffisantes, enfin c’est déjà ça, nota Adrien, plus pour lui-même que pour le reste du groupe.

— Léa, que peux-tu nous dire sur ton échantillon ? s’empressa de renchérir Hateya.

— Eh bien, c’est plutôt inattendu… Pour commencer, l’eau n’est pas potable, il y a trop de saponine. Son effet détergent serait nocif avec une telle concentration… Mais le plus étrange reste la présence d’enzymes de désaminases et d’ammoniac…

— Quoi ? Mais comment cela est-il possible ? Tu es sûr de ne pas avoir contaminé l’échantillon ? s’exclama Hateya.

— Absolument, d’autant que leur structure n’est pas la même que celles que nous avons répertoriées jusqu’à maintenant.

—  La Source n’a jamais été confronté à une telle situation.

— Minute ! intervint Corey. Quelqu’un peut-il m’expliquer ? Pour un profane, ce n’est pas évident de suivre une conversation de rat de laboratoire !

Léa reformula à son attention :

— A ma connaissance, la saponine n’a jamais été conçu spontanément par autre chose que des espèces Terriennes. Cela pourrait être traduit par : Terra 56 a connu la vie… Mais la découverte d’enzymes désaminases est plutôt déroutante. Il s’agit d’enzymes capables de sectionner la partie amine des acides aminés, et l’ammoniac prouve que cette réaction a probablement eut lieu. C’est un peu comme si la planète avait digéré la vie.

—  Gaïa va nous dévorer ! ricana Adrien, qui aurait préféré avoir une hypothèse plus tangible mais surtout, et il n’osait pas se l’avouer, bien moins inquiétante à se mettre sous la dent.

Le reste de l’équipe ignora sa remarque. Hateya poursuivit, comme si de rien n’était :

—  Tachons de découvrir d’autres éléments, j’ai repéré des structures étranges derrière la poussière, peut-être que cela nous conduira à une nouvelle découverte.

Adrien revint à la charge, peu disposé à se laisser oublier :

— Droit dans la tempête hein !? Quand tes ancêtres sioux disaient qu’il fallait suivre les signaux de fumé, ils ne voulaient probablement pas dire d’aller dedans. T’as peut-être oublié l’incident sur Gliese 581G mais pas moi !

— C’était il y a quatorze ans, rappela la capitaine avec un soupir. On a perfectionné nos technologies depuis… Je t’ai connu plus courageux, tu te fais vieux mon ami.

Déjà le crépuscule annonçait la fin de la deuxième journée d’exploration. L’étoile du système commençait à disparaitre à l’est, et le plus gros des satellites de TerraNova dessinait un magnifique croissant lumineux à l’ouest. Quant à la deuxième lune, dissimulée de l’autre côté de la planète et restait invisible à nos explorateurs. Lentement le ciel rouge-orange s’assombrit, et de magnifiques aurores boréales rosées le déchirèrent de part en part. Progressivement la nuit se piqueta d’étoile par milliers.

La sérénité du ciel nocturne contrastait de manière frappante avec le chaos qui s’approchait inexorablement des explorateurs. La violence des vents s’intensifiait à mesure que le cœur du maelström se rapprochait, et une pluie abondante s’ajouta au sinistre. Peu à peu d’épais nuages obstruèrent la voute céleste. Certains était gigantesques et gorgés d’eau, de couleur noir et gris. Ils semblaient déferler à travers la plaine telles les vagues d’un tsunami. D’autre était plus fins et reflétaient la couleur rouge sang d’une des deux Lunes. La scène avait virée en apocalypse mais n’en demeurait pas moins sublime aux yeux des Sourciers.

Lorsque leur visibilité fut réduite au point de ne plus distinguer que les contours des véhicules, Hateya donna l’ordre de s’arrêter. Ils s’ancrèrent dans la plaine turquoise, grâce à un ingénieux système de forets, qui s’enfonçaient dans le sol, sous le châssis des véhicules, et les maintenaient fermement enracinés.

Les vitrages se recouvrirent de leurs rideaux métalliques laissant la lumière artificielle des néons éclairer seule les sourciers.

Ils dégustèrent rapidement un repas lyophilisé, puis s’allongèrent sur leurs couchettes, pensifs.

La pluie battante martelait les carrosseries et des éclairs vinrent terminer leur course sur les véhicules. Heureusement le capot était conçu pour recycler une partie de l’énergie électrique. Malgré la violence des bourrasques, le système d’ancrage tenait bon. L’équipage était rodé aux tempêtes les plus spectaculaires et leur technologie semblait les isolés complètement du cataclysme qui se déchaîner à l’extérieur.

Ils n’eurent aucun mal à s’endormir, laissant aux équipements en fonctionnement le soin d’analyser les données sur l’intempérie.

Alors que l’équipage s’était endormi, les néons émirent quelques grésillements avant de s’éteindre définitivement. Progressivement, les équipements cessèrent de fonctionner à l’insu des Sourciers.

La tempête se calma peu avant l’aube, laissant à une fine pluie et un léger vent froid le soin de rappeler son passage. Une alarme se déclencha et réveilla les explorateurs.

La température avait nettement diminué, et le froid avait engourdi l’équipage. Une légère buée s’échappait à chacune de leur respiration.

— Les systèmes de sécurité se sont tous enclenchés, la totalité de l’énergie restante est utilisée par les appareils de survie, déclara anxieusement Corey après un rapide coup d’œil autour de lui. Quand les batteries seront vides, nous manquerons d’oxygène.

— A nous le Guinness des records pour la mort la plus stupide, comme c’est exaltant ! ironisa Adrien.

Hateya se retint de lui répondre, et se joignit à Corey pour relever les défaillances.

Corey activa manuellement quelques boutons sur le tableau de bord et l’alarme s’interrompit. Il manipula une manivelle pour entrouvrir les volets.

La lumière rouge de l’étoile pénétra l’habitacle. Et après un court temps d’adaptation, Corey essuya les fines gouttelettes de condensation collées aux hublots, permettant à l’équipe de découvrir le paysage.

Le sol rocheux était recouvert d’une épaisse couche de boue turquoise de plusieurs centimètres. La plaine s’étendait ainsi à perte de vue. Seul relief naturel, la chaîne de montagnes se dressait fièrement au Nord. Tandis qu’au Nord-Est, d’immenses structures perçaient les nuages à quelques kilomètres de leur position.

Les volets du deuxième rover se levèrent à leur tour, et les jumeaux saluèrent d’un signe de main les occupants de l’autre véhicule. Par chance le second rover  avait subi moins de dommages, seuls les instruments de mesures avait cessé de fonctionner et les jumeaux, qui avait rapidement compris la situation, adoptaient un air de raillerie depuis leur habitacle chauffé. Mais ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils ne se trouvent dans la même situation que leurs collègues.

Corey tenta d’allumer le moteur, abandonna l’idée après plusieurs tentatives infructueuses , et enfila sa combinaison, prêt à mettre les mains dans le cambouis. Il restait silencieux, concentré sur ses objectifs.

Les deux rovers étaient enlisé dans la boue, les moteurs à l’arrêt. Dans la cabine du premier, Adrien adressa à Hateya un regard réprobateur, qui signifiait je te l’avais bien dit. La capitaine se contenta de hausser les épaules et se servit sereinement un café. Les petits traquas du quotidien faisait partie des risques inhérents de telles explorations, elle s’y était habituée, et comptait sur les qualités professionnelles de sa troupe pour y remédier. Elle porta le café froid à ses lèvres et s’adressa à Adrien :

— Cesse de ruminer, nous allons bien, tâchons de penser à une solution plutôt que revenir sur l’origine du problème. En agissant différemment, tu aurais simplement changé la nature du problème et non sa réalité.

— Avec tout le respect que je te dois, capitaine, ta langue ne fera pas redémarrer le véhicule.

— T’as raison, enfile ta combinaison et va donc aider Corey.

L’ordre était clair, et Hateya n’avait aucune envie de s’attarder sur sa décision. C’était son rôle de capitaine de prendre des responsabilités et d’en gérer les conséquences. Elle ne partageait ce fardeau que lorsqu’elle l’estimait nécessaire et ce n’était vraiment pas courant.

Adrien endossa sa combinaison et rejoignit Corey, qui avait déjà entrepris le tour du véhicule pour diagnostiquer les anomalies engendrées par la tempête. Leurs chevilles s’enfonçaient d’une dizaine de centimètres dans la boue. Des veinules teintées de différents bleus striaient la surface turquoise du limon et chacun de leur pas déformait les sillons.

Depuis son rover, Oslan s’amusait à chercher un modèle mathématique pouvant prédire avec précision ces déformations chaotiques. Sa sœur adressa à Adrien et Corey un petit signe de la main et un sourire taquin à travers le hublot de son abri toujours chauffé.

Corey lui rendit son salut en ignorant la plaisanterie, et se plongea dans l’analyse des circuits électriques. Adrien, quant à lui, déploya son majeur en guise de réponse.

— Cette mélasse s’est infiltrée partout, je vais avoir besoin de main d’œuvre pour nettoyer tout ça, annonça Corey, mais sa voix ne parvint pas jusqu’aux occupants des habitacles.

Adrien fit, non sans satisfaction, signe à Léa d’enfiler sa combinaison. Il frappa également au hublot à l’attention de la capitaine pour lui transmettre le même message.

Quelques minutes plus tard ils étaient tous à l’extérieur, réunis autour de Corey. Celui-ci se racla la gorge avant de prendre la parole, conscient d’être au centre de l’attention.

— Avant d’établir un diagnostic complet, il faut nettoyer et sécher les circuits souillés. Je propose de basculer l’énergie restante du rover militaire vers un compresseur et utiliser la pression de l’air pour dégager la boue des circuits de la Source-mobile, suggéra-t-il.

— Tu penses qu’il faut abandonner le blindé ? dit Hateya en posant sa main sur le capot.

— Pas nécessairement, je veux juste m’assurer qu’on puisse rentrer à bon port avec la Source-mobile. Les incidents électriques ne sont pas encore critiques, et la réparer nous assurera un retour sain et sauf. Avec un peu de chance, une fois en état de marche, elle génèrera suffisamment d’énergie pour réhabiliter le blindé.

— Quelqu’un à une autre idée ? interrogea la capitaine qui n’obtint que le silence en guise de réponse. Eh bien, ne perdons pas un instant ! Corey, tu supervises les réparations, on se met à ta disposition.

Les explorateurs se mirent à la tâche, et le moteur de la Source-mobile et ces 12 cylindres raisonna dans la plaine après une petite heure de labeur. Une clameur de joie s’empara des Sourciers.

Lorsque Corey ressortit de la Source-mobile par le sas de décontamination, Léa accourut dans sa direction.

— T’es le meilleur ! s’exclama-t-elle en collant son casque à celui de l’ingénieur comme pour l’embrasser sur la joue.

— C’est… Ce n’est pas terminé, bredouilla-t-il, en prenant la couleur de l’étoile de NovaTerra.

— Sois pas modeste, répliqua Hateya, tu viens de nous sauver la mise. Et tu es la preuve dont Adrien avait besoin pour comprendre qu’on doit compter les uns sur les autres.

Elle envoya un clin d’œil au prospecteur.

Celui-ci se contenta de faire la moue :

— Mouais, en attendant la mission est avortée jusqu’à preuve du contraire, le blindé est quasiment Hors Service.

Oslan, trop euphorique pour se laisser doucher par la mauvaise humeur d’Adrien, claqua l’épaule du mécanicien :

— A ta place, je demanderai une augmentation !

— Je n’y manquerai pas, assura le quadra aux cheveux verts, mais seulement quand j’aurai remis en marche la bête de métal ! Vous pouvez commencer son décrassage pendant que je désembourbe l’autre

— Comptes sur nous, Corey ! répondirent en cœur les jumeaux.

Et la troupe se remit à la tâche. La réparation de l’ex véhicule militaire, bien plus délicate que celle de la Source-mobile, permit à Corey de déployer toute l’étendue de ses talents. Une fois le blindé nettoyé, il commença à concevoir d’ingénieux ponts hermétiques entre les différents systèmes des véhicules. Des circuits électriques jusqu’aux mécanismes de filtrages d’aire et d’humidité, tous les appareils endommagés du cuirassé furent reliés à leurs homologues du laboratoire mobile.  Un réseau se tissa entre les deux rovers, dont seul Corey pouvait en appréhender la complexité. Le reste de l’équipage se retrouva à observer, inutile, le génie qui tressait les entrelacs de matière tel une araignée sur sa toile.

Enfin, après de longues heures, Corey rejoignit ses collègues à l’intérieur du laboratoire et s’affala sur l’une des chaises. Hateya lui avait préparé un café. Il le refusa poliment, et s’empara d’un sachet d’Earl Grey.

— C’est gentil, mais tu sais bien que le café ce n’est pas ma tasse de thé!

Elle l’avait encore oublié, et se promit une fois de plus d’être plus attentive à ce genre de détail. Sans se vexer, Corey entreprit d’expliquer son intervention :

— Si mes calculs sont bons, le rover pourra redémarrer dans trois heures. Je n’ai pas pu sauver le système de climatisation, ni celui du foret qu’il faudra sectionner pour repartir. Le reste est fonctionnel, et l’habitacle sera viable à l’issue de l’attente. Ça donne quoi, les analyses sur la tempête ?

Oslan se chargea de lui répondre :

— Les données n’ont pas pu être sauvegardées, mais ce n’est pas le plus important. Vue son ampleur, le vaisseau-mère en a sûrement gardé une trace.

— Oui,  peu importe ! Nous sommes tous reconnaissants pour le travail que tu as fourni, merci l’ami !

A l’étonnement général, c’était Adrien qui avait prononcé ses mots. Corey lui sourit et conclut :

— Gliese 581G, on l’a vécu une fois… on ne le vivra pas deux !

Adrien lui donna l’accolade en guise de réponse. Hateya sourit à son tour, avec une légère envie. Sa position de supérieur hiérarchique l’éloignait en partie des membres de son équipe. Elle rêvait parfois de pouvoir simplement partager leur joie, dans des moments comme celui-ci.

Encore quelques heures et, comme l’avait annoncé Corey, le blindé fut à son tour opérationnel. Au prix d’une consommation importante de carburant, qui réduisit  potentiellement d’un jour la mission, en plus de la demi-journée perdue en réparation. Le foret sectionné fut abandonné à même le sol et sans tarder, l’équipage repris la direction du Nord-Est vers les étranges structures qui occupaient l’horizon depuis leur premier pas sur NovaTerra .

La chaleur de l’étoile avait séché la boue. Elle se cassait sous le poids des Rovers qui progressaient lentement.

Les structures étranges apparaissaient de plus en plus nettement à mesure qu’ils s’en approchaient.  Leur vue plongeait les sourciers dans un silence contemplatif. De forme cylindrique, elles rappelaient par leur hauteur les buildings des colonies humaines, mais elles étaient beaucoup plus fines. Une centaine d‘entre elles, disposés à intervalles réguliers, recouvraient la plaine sur plusieurs hectares.

Il était clair que la présence de telles installations n’avait rien de naturel. Elles avaient été conçues par une civilisation extra-terrestre mais les sourciers, conditionnés par les millénaires de solitude de l’humanité, refusaient de se rendre à l’évidence.

Même une fois arrivé au pied de l’une de ces structures, le silence perdura. Ils enfilèrent mécaniquement leurs combinaisons, sans échanger un regard. Lorsqu’ils quittèrent les rovers, l’étoile grenât se couchait.

Ils admiraient maintenant à quelques pas les détails de l’édifice. A la surface du cylindre métallique, une substance bleu fluorescente circulait en y suivant des sillons sculptés.

Un genou à terre, Corey scrutait le sommet de la construction.

Adrien demeurait bouche bée, les mains jointes derrière le crâne.

Les jumeaux se tenaient la main et se fixaient mutuellement.

Hateya avait les doigts qui tremblaient, ce qui trahissait une perte d’assurance inhabituelle chez elle.

Le temps parut se figer autour de l’expédition, des explorateurs égarés dans les méandres de leurs pensées.

Au prix d’un effort considérable, Hateya finit par lâcher prise et se laissa envahir par ses sentiments.

Toutes ses certitudes s’effondrèrent d’un coup. Une larme perla sur sa joue, entraînant avec elle l’ultime résidu de ce qui avait constitué sa réalité jusqu’ici.

Ça en valait la peine ! songea-t-elle. Elle aurait bravé une deuxième tempête pour se trouver là où elle devait être. Et finalement, elle parvint à concevoir l’idée avec laquelle les autres membres de l’équipage luttaient encore :

— L’Humanité n’est pas la seule civilisation de l’univers.

Cette petite phrase libéra les équipiers de leur stupeur, et ils prirent peu à peu conscience de l’ampleur de cette découverte.

— Sic itur ad astra ! prononça Adrien en prenant une posture solennelle

— Ainsi atteint-on les astres… Je ne savais pas que tu parlais latin ! rétorqua Oslan

—  Je ne parle pas latin ! Mais comme ce moment va être gravé dans l’Histoire, autant donner à mon personnage un air intelligent !

Ses collègues rirent de bon cœur avec lui. Puis Hateya reprit les choses en main.

— Bien, tâchons de découvrir de quoi il s’agit ! Oslan, Léa ? A vous de jouer !

Sur l’ordre d’Hateya, les jumeaux exécutèrent un nombre important d’aller et retour entre le laboratoire et la structure. Ils observèrent, puis prélevèrent et analysèrent méthodiquement chaque élément qui composait le cylindre. Les autres se contentaient de déambuler entre les structures et scruter l’horizon en cherchant d’autre signe de vie.

A la nuit tombée, les jumeaux furent enfin prêts à transmettre le résultat de leurs analyses. Ils réunirent le groupe autour de la structure dont la luminescence bleue offrait un spectacle d’une autre dimension. Léa prit la parole :

— Ces cylindres sont composés en grande majorité de Nickel et de Cuivre. Les données indiquent que la substance qui se trouve à l’intérieur semble être un plasma de Césium. Elle n’émet qu’une très faible radioactivité. Et malheureusement, il n’y a toujours pas d’être vivant à examiner… pas la moindre bactérie.

Oslan prit le relais :

— On a également sondé le sol et trouvé de forte concentration d’Argent, de Rhodium et de Cuivre, entourant une poche de plasma de Césium d’une taille colossale et d’une température très élevée. Il y a également une structure similaire à celle-ci qui s’enfonce dans la croûte de Terra 56. Elle est composée de Tungstène, de Tantale et également du même plasma de Césium.

— Une hypothèse sur sa fonction ? interrogea la capitaine

— Non, aucune, avouèrent les jumeaux en chœur.

Un silence suivit. Soudain Corey s’exclama :

— Une centrale électrique !

Les autres le regardèrent sans comprendre. Le génie de la mécanique reprit :

— Ça m’a tout l’aire d’un convertisseur Thermoïonique ! Là, une Anode en Nickel, refroidie par l’atmosphère ! dit-il en posant sa main sur la structure froide. Plongée dans une poche de plasma de Césium. – Il posa son doigt ganté sur le sol pour modéliser sa pensée-. Et à l’opposé, une cathode en Tungstène, chauffé par la température en profondeur. Ça pourrait produire un courant électrique qui circulerait à travers le cuivre…

— C’est brillant ! s’exclama Léa. Donc toutes ces structures seraient les parties visibles de piles géantes ! Mais pour alimenter quoi ?

Oslan remarqua :

— Le seul moyen de le savoir c’est de trouver la plus forte concentration de cuivre et de la suivre !

Hateya, intervint :

— A condition que l’objectif se trouve à moins d’un jour de notre position ! On va bientôt atteindre la moitié de nos réserves d’eau et la quantité de carburant restant ne nous permettra pas de poursuivre au-delà ; Il faut penser aux nécessitées du retour.

— On ne peut pas s’arrêter maintenant, protesta Adrien, avide de découvrir le secret de cette planète.

Corey vint se poster à côté d’Adrien :

— Je suis de son avis ! On n’a qu’à rationner nos vivres ! Pour le carburant j’en fait mon affaire, je sais aussi piloter sans en brûler inutilement.

Les jumeaux acquiescèrent et se rangèrent à l’avis des deux hommes. Adrien se tourna vers Hateya :

— Capitaine Somari ?

Hateya souhaitait de tout cœur se joindre à l’euphorie générale, mais son intuition lui dictait le contraire. Elle avait un mauvais pressentiment. Quelque chose clochait sur cette planète, qui refusait de se manifester à son esprit. Il semblait plus raisonnable de rebrousser chemin mais d’un autre côté, ne pas résoudre le mystère revenait à laisser d’autres Sourciers terminer leur mission.

Elle fixa l’un après l’autre les membres de son équipage. Dans cette quête pour l’inconnu, c’était leurs rêves de gamins qui se matérialisaient. Ils semblaient prêts à tout sacrifier pour poursuivre l’aventure, et avaient déjà oublié l’épisode de la tempête. Alors, pour eux, pour ce qu’ils avaient accompli jusqu’alors et pour les expéditions futures, elle décida de continuer. Elle leur dissimula son angoisse ,et alla transmettre un message Radio à l’intention de la station :

— De Rover 56 à Station. C’est avec énormément d’émotions que nous vous annonçons la découverte d’une technologie alien sur notre Position : Latitude 47.4528, Longitude 1.0477. Pas de vie découverte et aucun danger notable à signaler. Il semblerait qu’il s’agisse d’un vestige archéologique. Le premier rapport vous parviendra avec les données récoltées au sol. En l’absence de protocole adapté, l’objectif de la mission reste inchangé. Nous poursuivons l’exploration. Fin de transmission.

Les paroles de la capitaine ravivèrent les espoirs des Sourciers. Le cœur plus léger, Corey programma l’un des drones afin de relier sa caméra au programme d’analyses des sols, et de trouver la concentration supposée de cuivre, qui leur indiquerait la route à suivre.

Les Sourciers, incapables de dormir, visionnaient en temps réel la structure des sols survolés par le drone.  Dans leur empressement, ils manquèrent une manœuvre et le drone percuta dans l’obscurité l’une des structures.

— Ce petit imprévu nous rappelle à l’ordre ! déclara Hateya. Repos tout le monde, on reprendra demain.

Elle soupira, elle allait devoir ajouter le drone à la facture déjà salée de la mission.

Tous regagnèrent leurs couchettes, se résignèrent à dormir, calmant tant bien que mal leurs pensées agitées. Une tâche plus facile pour les jumeaux qui eux, jouissaient d’une climatisation en état de marche…

Les jumeaux se réveillèrent dès les premières lueurs de l’aube. Ils étaient tout excités et prirent à peine le temps d’avaler un bol de céréales. En quelques minutes, ils étaient déjà en combinaison à l’extérieur, cherchant activement la masse de cuivre avec le détecteur récupéré sur le drone accidenté. Les trois autres membres d’équipage étaient plongés dans un sommeil profond, blottis dans leur duvet chaud, ils récupéraient suite à la fatigue accumulée la veille.

Le binôme finit par tombé sur la source de cuivre, ils retournèrent dans le labo et observèrent en silence l’imagerie du sol scannée sur l’écran d’ordinateur.

Oslan donna un petit coup de coude à Léa, avant de pointer du doigt le trajet à suivre, puis simultanément ils levèrent la tête vers le Nord.

La voix d’Oslan résonna dans le blindé, toujours plongé dans l’obscurité :

— Debout là-dedans ! La lumière du jour nous a ouvert la voie !

Hateya, première debout, se dirigea vers l’émetteur, son duvet autour des épaules.

— Que se passe-t-il, Oslan ?

Corey s’était levé à son tour et ouvrit manuellement les volets, pour économiser l’énergie. Oslan reprit avec enthousiasme :

— On a trouvé le chemin ! Chaque structure transmet l’électricité à travers un filon de cuivre. Tous les filons se regroupent en un tracé unique de la largeur d’un terrain de football, et devinez où il va ?

— J’ai ma petite idée mais la réponse va pas te plaire… grommela Adrien depuis sa couchette.

Les jumeaux ne pouvaient pas l’entendre et Oslan s’empressa de vendre la mèche :

— Vers la chaîne de montagnes !

Hateya toujours assommée par sa courte nuit de repos, s’adressa aux lève-tôt.

— Depuis le temps que je veux voir ces sommets de près ! C’est l’occasion rêvée ! Nous allons enfin savoir ce que cachent les ombres, sur ces escarpements. Laissez-nous le temps d’avaler quelque chose, et on sera opérationnel pour le trajet !

La troupe reprit donc naturellement son chemin vers les pics.

La terre turquoise était encore molle à cause de la tempête, et les rovers laissaient des traces profondes derrière eux. Sans trop savoir pourquoi, les explorateurs avaient un pincement au cœur à l’idée de laisser les structures aliens derrière eux :

— Vous croyez qu’ils sont encore vivants ? dit Léa à travers la radio.

— De qui tu parles ? intervint Corey.

— Des extraterrestres ! C’est vrai, quoi ! C’est la première fois qu’on trouve des traces de vie et elle est éteinte ! Puis on trouve une technologie alien, et il y a de fortes chances qu’il s’agisse d’un vestige archéologique… Ce n’est pas vraiment ce que j’espérais !

Adrien, qui suivait la conversation tout en mâchonnant une de ses éternelles barres protéinées, décida de donner son opinion :

— Je pense que s’il y avait une vie intelligente, on l’aurait déjà croisé d’une manière ou d’une autre. Pour ma part, leur civilisation s’est éteinte ! Ou bien ils ont quitté la planète depuis longtemps !

Oslan, qui montrait un tempérament plus rêveur que celui d’Adrien, émit à son tour une hypothèse :

— Et s’il s’agissait d’une espèce qui contrairement à nous autres colonisateur du cosmos, avait entrepris de conquérir les dimensions de l’infiniment petit ? Ils seraient probablement toujours là, mais inaccessibles, invisibles à nos yeux, à nos microscopes même, sans doute…

Léa reprit la parole :

— Capitaine, vous en pensez quoi ?

Hateya prit le temps de réfléchir, prononça lentement :

— Je pense que notre imagination est limitée par notre propre expérience. S’il y à une vie extraterrestre elle doit être fondamentalement différente de ce que nous pouvons concevoir. L’existence n’a sûrement pas le même sens pour elle que pour nous.

— Quand même, j’aimerais bien pouvoir communiquer avec une autre espèce ! renchérit Léa euphorique. Voir la naissance d’un empire galactique comme dans les livres !

— Regardez, le sol ! coupa Corey qui était focalisé sur le pilotage de son rover.

La roche sous leurs roues semblait polie par le temps, et de minuscules cristaux de quartz étaient éparpillés à sa surface. Sous l’effet de l’obscure lumière de l’étoile et du mouvement des véhicules, les cristaux scintillaient sporadiquement.

Oslan murmura à sa sœur :

— C’est incroyable les panoramas que nous offre cette planète…

Il parlait très bas comme pour ne pas briser un enchantement.

— C’est comme si le ciel nocturne gagnait les profondeurs de la terre durant la journée, lâcha-t-elle, ébahie.

De son côté Hateya, était subjuguée par ce nouveau spectacle. Elle n’arrivait pas à détacher le regard de la plaine scintillante de l’autre côté de la vitre du rover, le paysage clair barré au fond par l’ombre des sommets. Elle se sentait bien, sur cette planète. Elle vivait un vrai voyage féérique, et s’imaginait déjà prendre sa retraite sur une colonie installée au milieu de cette terre céleste, au pied des montagnes.

Soudain la terre trembla et l’extirpa de sa rêverie. Le sol secoua violemment les rovers. Les membres de l’équipage s’agrippèrent aux fauteuils, aux couchettes, où ils pouvaient… Dans le laboratoire, des béchers et des éprouvettes roulèrent sur les paillasses, ils se seraient écrasés au sol sans les barrières de sécurité. Les explorateurs finirent roulés en boule sur le sol, la tête entre les bras. Les secousses durèrent une longue minute qui leur paru une éternité. Puis le séisme cessa aussi brusquement qu’il était arrivé. S’en suivit un grondement sourd, dont les échos résonnèrent dans la vallée.

— Nom de dieu, c’est quoi ça ? s’exclama Corey dans l’intercom.

Oslan remarqua la vapeur s’échappant du sommet qui leur faisait face. Le dôme se dilata subitement. Oslan perdit son sang-froid et s’exprima avec affolement :

— Merde, c’est pas une montagne c’est un volcan ! Le séisme a déclenché une éruption, il faut se tirer de là !

Sans perdre un instant, Corey alluma les gaz. Son rover fit une embardée et fila dans la direction opposée au volcan, entrainant avec lui le laboratoire-mobile, dont le pilote automatique était toujours en activité. Le terrain accidenté les secouait presque autant que l’avait fait le tremblement de terre. Une gigantesque explosion retentit du côté des pics, et le cratère au sommet cracha une gerbe de liquide bleu coiffée de mousse. Le panache de matière se déploya dans l’atmosphère en défiant l’attraction gravitationnelle pendant un instant, puis elle s’abattit sur les véhicules.

Les sourciers s’étaient protéger machinalement la tête avec leur main, mais l’impact fut moins violent que ce à quoi il s’attendait. La retombée de la gerbe fut en revanche assourdissante.

— De l’eau … Pas un volcan… Un geyser géant ! hurla Oslan pour se faire entendre.

Adrien s’empara de son intercom, qui était tombé lors de la course folle.

— On a un autre problème ! eut-il à peine le temps de prononcer, avant que la masse d’eau emporte les véhicules qui avaient perdu toute adhérence.

Heureusement ils demeuraient hermétiques.

— Accrochez-vous, ça va secouer ! s’exclama Hateya qui empoigna sa ceinture.

Un courant violent les entraînait vers une ombre qui flanquait la montagne.  Les Sourciers bouclèrent leur ceinture comme si elle pouvait les protéger d’une noyade.  La source-mobile était passée en tête du convoi. Léa jeta un coup d’œil par la vitre avant. L’eau mousseuse réduisait la visibilité, mais la biologiste parvint quand même à observer l’ombre. Prise de panique, elle s’écria d’une voix changée :

— Une crevasse ! C’est une crevasse !!

Inexorablement les véhicules étaient emportés par les flots. Leur destin semblait scellé. Corey tenta une manœuvre désespérée. Il actionna à distance le foret de la source-mobile, qui s’enfonça dans le sol et stoppa quelques secondes le véhicule. Mais le blindé le percuta de plein fouet et l’arracha à son ancrage. En un instant les Sourciers, impuissants, furent engloutis par le trou béant.

Une aubaine pour eux, l’inclinaison de la pente n’était pas verticale, ce qui leur aurait valu une chute mortelle.

Les rovers entamèrent des tonneaux fracassants dans les entrailles de la montagne, portés par l’intensité du courant qui s’était formé. Sous l’effet de la force centrifuge, les Sourciers perdirent connaissance. Des morceaux de taules s’arrachaient de l’enveloppe des véhicules à chaque rotation, les dépouillant peu à peu du dernier rempart qui préservait l’équipage d’un sort sinistre.

La glissade prit fin. La source-mobile s’immobilisa sur son toit et le blindé sur ce qui restait de ses roues, les deux à moitié immergés dans une mare éphémère. L’eau continuait son voyage vers les profondeurs à travers des failles trop petites pour laisser passer un véhicule. Elle terminait de s’écouler lentement par les lézardes de la roche. Une faible lumière filtrait de la crevasse par où étaient passés les rovers. La pénombre masquait une part de la grotte.

Les alarmes des véhicules sortirent les sourciers de leur inconscience. Les systèmes d’anticollisions avaient fonctionné et l’équipage était indemne. Brutalement tirés de leur évanouissement, les sourciers balayèrent du regard leurs habitacles, se demandant où ils se trouvaient. Puis ils finirent par retrouver leurs esprits. Ils enfilèrent rapidement les combinaisons éparpillées dans les habitacles. Corey coupa les alarmes d’un coup de poing. De l’eau filtrait par les fissures des carlingues. Les barrières d’étanchéité avaient cédé, ils devaient quitter leurs véhicules.  Ils s’en extirpèrent et se regroupèrent dehors dans la caverne. La température extérieure aurait fait fondre du Brome sur la planète Terre. Heureusement, leurs combinaisons compensaient cette chute brutale du climat. L’eau couvrait leur membres Inférieurs jusqu’aux cuisses. Heureusement, ils découvrirent rapidement une portion de la grotte suffisamment élevée pour s’extraire complètement des flots. Epuisés par leur dernier effort, ils s’allongèrent sur la roche humide pour récupérer des forces.

— Tout le monde va bien ? s’enquit la capitaine.

— J’ai mal au crâne, mais ça va ! répondit Corey

Léa et Oslan s’examinaient mutuellement.

Adrien observa l’étendue de la catastrophe et arriva rapidement à une conclusion implacable :

— On est foutu…

Hateya s’efforça de se ressaisir et s’adressa à son équipe.

— Nos combinaisons disposent de trois heures d’autonomie, rappela-t-elle, tâchons d’en faire bon usage. Corey, est-ce que tu peux nous bricoler un radeau ou un abri avec ce qui reste des rovers ? On peut encore récupérer l’eau et les vivres dans les cabine. Je suis sûr que les contenants ont résisté aux chocs. On pourra peut-être survivre jusqu’à l’arrivée d’une mission de sauvetage.

Léa s’effondra en sanglot. Oslan l’enlaça pour tenter de la rassurer.

Corey restait sceptique quant à la proposition de sa supérieure. Il soupira :

— Je vais voir ce que je peux faire…

Il s’attela à l’examen des épaves. Un espoir, aussi mince soit-il, valait mieux que rien.

Adrien, qui refusait lui aussi de désespérer, se glissa dans le blindé à demi immergé pour tenter de faire fonctionner la radio. En vain. Il retourna voir Hateya pour lui annoncer :

— Je vais chercher un autre moyen d’envoyer un signal de détresse.

Elle ne répondit pas. Elle observait les parois de leur prison, l’humeur sombre. Elle se savait responsable de leur condamnation. Pourquoi n’avait-elle pas suivi son instinct quelques heures plus tôt ? se dit-elle. Elle s’accroupit et posa ses mains gantées sur la roche. Elle ferma les yeux et laissa ses larmes couler sous son casque.

Ils venaient de faire la découverte la plus extraordinaire de leur siècle, et ils n’auraient pas le temps de la savourer.

La vie était trop précieuse pour leur être retirée ainsi. Sa détresse se mua en colère et elle frappa violemment le sol de ses deux poings. La décharge de douleur la rassura étrangement. Elle l’accueillit avec joie comme pénitence, mais surtout parce qu’elle lui fit sentir que la vie coulait encore dans son être.

Elle se mit à marteler le sol de ses poings en imprégnant un rythme sonore constant. Peu à peu elle se laissa envahir par une étrange sensation d’abandon.  Les sons produits par l’impact de ses mains sur la roche se changèrent en un rythme de tambours. Intérieurement elle s’était calmée. Elle se trouvait dans un espace ou seule la cadence des percussions pouvait lui parvenir. Un lieu ou ni le temps ni l’espace n’avaient de sens. Elle connaissait cet endroit. Elle y était déjà venue quelques années auparavant, sans se souvenir comment. Elle avait tenté en vain de le retrouver puis avait déduit qu’il s’agissait d’un rêve. Après tout cela avait l’air d’un songe, rien n’y avait de sens excepté peut être sa présence. Ses yeux s’étaient révulsés. Les protections de ses gants avaient cédé et la roche mordait la chair de ses mains qui s’obstinaient à battre la cadence.

Adrien s’écria :

— La capitaine a perdu la boule ! Elle va se tuer !

Il voulut se précipiter vers elle pour l’arrêter. Léa le retint par le bras.

— Ne la touche pas ! Elle a déjà fait ça une fois quand elle a perdu son père !

Léa était la seule à avoir assisté à cette étrange transe chamanique qui avait transporté son amie alors qu’elle tentait de lui apporter du réconfort.

— Et alors ? gronda Adrien qui ne supportait pas de voir son supérieur dans cet état.

— Alors il était venu à elle pour la rassurer avant de disparaitre… répondit Léa sans se laisser démonter par la grimace d’incompréhension d’Adrien.

Oslan qui s’était approché soupira :

— Nous sommes condamnés…  Laissons-la partir comme elle le souhaite…

Abasourdi, Adrien reprit à l’intention de Léa :

— Ne me dis pas que ton esprit scientifique croit à ce genre d’incantation ?

— Mon esprit scientifique n’est pas capable d’expliquer tous les phénomènes ! La science est une clef qui ouvre certaines portes, mais pas toutes, rétorqua-elle.

Sur le visage mobile du prospecteur, à expression scandalisée succéda un air de dépit.

— Oh et puis merde ! Je laisse tomber, tu es aussi folle qu’elle !

Joignant son geste à la parole, il projeta le moniteur de radio en panne contre l’une des parois de la grotte. La machine se pulvérisa en mille morceaux.

Hateya se releva. Ses yeux s’ouvrirent, mais ils ne semblaient pas voir la grotte autour d’elle. Des mots sortirent de sa bouche mais il ne s’agissait pas des siens :

— L’obscurité n’est qu’une lumière que tu ne perçois pas ! Le chemin que tu cherches n’est ténébreux que pour ton œil humain. Pour voir l’insondable il faut cesser d’observer.

Pour le coup, même Corey leva le nez des rovers.

Père, non…  reprit Hateya, et cette fois c’était bien elle qui s’exprimait, mais la différence n’était pas perceptible depuis l’extérieur.

Son équipage reconnaissait son intonation familière. Elle tendit un bras pour retenir quelque chose, le laissa retomber. L’autre voix en elle conclut :

— Tu sais ce que tu dois savoir, maintenant laisse-moi en paix.

Les autres Sourciers qui l’observaient avec stupeur. Même Léa en venait à douter face à la folie soudaine de son amie.

La capitaine avait perdu le contact avec son aïeul. Elle se sentit de nouveau abandonnée, elle avait encore besoin de lui. Après tout c’était le pionner qui avait établit les fondations de la Source, lui qui était parti trop tôt, emportant dans son tombeau le secret de nombreuses planètes ! Elle réfléchissait à haute voix, suffoquant entre chaque phrase qu’elle prononça :

— Une lumière que je ne perçois pas… elle tourna sur elle-même puis s’arrêta. Cesser d’observer… elle ferma de nouveau ses yeux. Non… rien… Peut-être que …

Elle resta silencieuse un instant puis soudain se mit à courir vers le fond de la caverne et disparut dans l’obscurité.

Léa se précipita derrière elle, puis s’arrêta net. Elle décrocha une torche de sa ceinture, l’alluma et la braqua vers la zone ou Hateya avait disparu. La stupeur la coula sur place, l’angoisse aussi. Elle se trouvait face à une voie sans issue, une impasse fermée par la roche.

— Hateya ? ! hurla-t-elle

Aucune réponse. Dans son dos, Oslan s’exclama :

— Ai-je vraiment vu ce que j’ai cru voir ?

— Hateya ?! reprit Léa

Toujours aucune réponse. Corey et Adrien parvinrent à hauteur des jumeaux et firent le même constat : Hateya n’était plus là où elle aurait dû être.

 

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